Jean-David Zeitoun, Denoël, 2021.
https://www.denoel.fr/catalogue/la-grande-extension/9782207162781
Lectures en tout genre
Nicolas Gilsoul, Fayard, 2023.
Dan Cryan, Sharron Shatil, EDP Sciences, 2015.
https://laboutique.edpsciences.fr/produit/798/9782759819027/la-logique-en-images
Définition initiale, page 3 : « la logique est tout simplement l’étude des arguments qui préservent la vérité. » « Tout simplement », peut-être, mais cela ne concerne que la logique du langage humain, et il faudrait une autre définition pour les machines ! Pourquoi faudrait-il étudier la logique, alors que l’immense majorité des humains raisonnent, et que même les logiciens ne sont pas à l’abri d’erreurs de raisonnement communes ? Faut-il étudier la rhétorique pour faire des discours ? La narratologie pour raconter ? Quelle bizarre idée, dès Aristote, de vouloir raisonner pour démontrer que Socrate est mortel ! Si ça n’est pas un jeu de langage : triturer des mots pour découvrir des vérités évidentes pour un enfant. Un point d’orgue au Moyen Âge : « Le logicien était une sorte d’alchimiste qui jouait avec des concepts pour obtenir des arguments solides. » Questions à renvoyer à tous les lettrés déconnectés de l’activité laborieuse : votre usage du langage n’est-il pas un peu artificiel ?
Bascule avec Leibniz : le premier à recourir au formalisme mathématique. Le premier aussi avoir la prétention extraordinaire de formuler, et pourquoi pas découvrir, les règles du raisonnement juste. Fil à suivre jusqu’à Frege, puis Russell : des philosophes encore ancrés dans le langage, mais qui tentent de recourir à un formalisme récurrent du côté des mathématiques. D’où peut-être deux branches à distinguer :
Page 35. Distinction entre trois « projets » dans la logique moderne : mathématique (avec le fantasme d’unifier, voire de fonder les différents champs mathématiques), philosophique (parler de façon cohérente du réel), symbolique (tableaux de vérité du Tractatus)
Page 50. Problème de Russell : « avec le modèle sémantique théorique, nous pouvons savoir dans quel modèle la proposition “Socrate est un homme” est vraie. » Mais est-ce bien nécessaire ?…
La crise des paradoxes est une charnière de la scission entre logique formelle et analyse du langage. Cœur du paradoxe du menteur : « cette phrase est fausse ». Pour celui de Russell : le mot « hétéro logique » et hétéro logique.
Même le paradoxe de Zénon oblige à recourir à des artifices du langage : limite, infini.
Est-il bien nécessaire de comprendre (élaborer !) le théorème de Gödel pour être convaincu que les mathématiques ne peuvent couvrir le réel, que le langage, même formel, est faillible ? Qu’est-ce qu’aurait apporté la démonstration inverse ?
Paradoxe sorite : une proposition peut-elle être presque vrai ?
Argument du diable : la séquence 666 apparait-elle parmi les décimales depuis ?
Relire le Tractatus à la lumière de cette idée ? L’échelle qu’il s’agit de retirer, ce pourrait être celle qui permet de franchir le mur séparant la philosophie de l’étude des mécanismes artificiels chers à ceux qui veulent faire parler les machines.
Un mérite de ce livre : aborder un grand nombre de penseurs, embrasser un large champ d’études, en laissant le lecteur prendre la mesure de ce paysage.
Question décidément extraordinairement mystérieuse, en tout cas fondamentale : comment se fait-ce qu’on puisse évoquer le monde en produisant des sons ?
Ce qui n’empêche pas de chercher à comprendre des particularités du langage mathématique de langage humain : Brouwer.
Développement final : logique par expérimentation (induction ou déduction) : comment passer à la généralité ?
Quine : les croyances (connaissances…) constituent un réseau, avec des parties plus ou moins serrées, plus ou moins molles. Relativisme, jusqu’à Feyerabend.
Le mot de la fin pour Wittgenstein : « S’il y avait une “solution” au problème logique, alors nous devrions simplement garder à l’esprit qu’à une époque, il n’avait pas été résolu (et aussi qu’on devait pouvoir vivre et penser). »
Leslie Valiant, Cassini, 2018.
https://www.futuribles.com/probablement-approximativement-correct/
Lorraine Daston, 1995. La Découverte, 2014.
https://www.editionsladecouverte.fr/l_economie_morale_des_sciences_modernes-9782707182708
Lorraine Daston, L’économie morale des sciences modernes. Jugements, émotions et valeurs, La Découverte, Paris, 2014, 128 p.
En 1995, l’historienne des sciences américaine Lorraine Daston publiait dans la revue Osiris un article ambitieux, intitulé « The Moral Economy of Science ». Elle y proposait une analyse des soubassements inséparablement épistémiques et moraux de l’entreprise scientifique, à la lumière de la notion d’« économie morale ». C’est ce texte qui est traduit dans L’économie morale des sciences modernes, augmenté d’une préface et d’un long commentaire d’une quarantaine de pages de l’historien Stéphane Van Damme. Pourquoi le présenter sous forme d’un (petit) ouvrage plutôt que dans une revue pour spécialistes, la Revue d’histoire des sciences par exemple ? Pour S. Van Damme, cela va de soi : certes, après coup, c’est le « manifeste d’une nouvelle histoire », d’une « épistémologie historique » aujourd’hui bien installée, dont le dessein est toujours d’historiciser les « catégories fondamentales de la pensée scientifique », comme l’objectivité ou la vérité. Sans forcément l’annoncer de façon explicite et tonitruante en 1995, L. Daston proposait (on ne sait quel temps utiliser pour qualifier une contribution passée et replacée dans une collection éditoriale nommée « Futurs antérieurs ») des pistes d’enquête pour l’histoire des sciences qui contribuaient à déplacer les lignes.
Dans l’article, l’historienne définit et inventorie les implications de la notion d’« économie morale », qu’elle reprend librement d’Edward P. Thompson. « Une économie morale, écrit-elle, est un tissu de valeurs saturées d’affects qui se tiennent et fonctionnent dans une relation bien définie » (p. 23). L’« économie » renvoie à un « système équilibré de forces émotionnelles » s’insinuant dans l’activité de collectifs de science (on se demande dès lors pourquoi ne pas dire « système ») ; le mot « morale », lui, rappelle la normativité de ce système combinatoire d’affects et de valeurs. L. Daston met également en avant le registre de l’émotion, contre la vision froidement rationnelle du travail de la science qui prévaut en épistémologie. Jusque-là, rien d’original – si l’on se réfère du moins à la définition fondatrice que Robert K. Merton commençait de donner de l’éthos de la science dès le milieu des années 1930 : « un complexe de valeurs et de normes teinté sur le plan affectif et qui font l’homme de science » (Merton, 1973, p. 269). Dans sa formulation initiale, ce complexe de valeurs, de présuppositions, de croyances et de coutumes contraint l’activité des savants ; il définit une « structure normative » composée de normes « techniques » (c.-à-d. cognitives) et « morales » (comprenant le « communisme », l’« universalisme », le « désintéressement » et le « scepticisme organisé »). Bien qu’elle refuse d’assimiler « ses » économies morales aux « normes mertoniennes » (pp. 29-30), l’on ne voit pas en quoi la proposition de l’auteur en diffère ici substantiellement (ce que confirme, entre les lignes, S. Van Damme, p. 70). La différence se situe ailleurs. Tandis que chez R. K. Merton la communauté scientifique est une, homogène et structurée sur la base d’un seul référentiel normatif, L. Daston met l’accent sur le pluriel : les sciences modernes, précise-t-elle dans un accès de fonctionnalisme, « ont besoin d’économies morales » (p. 22). En outre, souligne-t-elle, les économies morales sont plus qu’une source de motivation exogène comme le seraient les normes de l’éthos mertonien ; elles entrent dans la « boite noire » de l’entreprise scientifique, de la construction sociale de la connaissance scientifique, et en cela cette caractérisation dépasserait le travail fondateur de R. K. Merton (en particulier sa thèse de 1935 sur l’essor de la science dans l’Angleterre du xviie siècle, publiée in extenso dans Osiris en 1938). N’épiloguons pas sur le fait que la position de R. K. Merton est plus subtile en réalité. Plus problématique est la description culturaliste des fondements de la pratique scientifique : les économies morales et les valeurs de la « culture ambiante » (p. 29) étant « partie intégrante de la science », l’historien se trouve confronté à une sorte de « bouillon de culture savante » indifférencié où tout est dans tout, et réciproquement. Livrant sa définition des économies morales de façon expéditive, L. Daston est plus diserte dans ses tentatives d’exemplification.
Dans le reste de l’article, elle restitue l’axiologie spontanée d’opérations et de traditions de connaissance que l’historiographie des sciences a naturalisées avec le temps : la quantification, l’empirisme et l’objectivité. La quantification, découvre-t-on au gré des nombreux exemples, suture des formes de sociabilité savante, des vertus épistémiques et des critères de recevabilité des résultats, comme l’impartialité et l’impersonnalité. L’idéal d’exactitude et le « culte scientifique de la mesure et de la précision » ne tombent pas du ciel, ils émergent à des moments historiques et s’incarnent dans la matérialité des pratiques savantes. Les diverses formes historiques de l’empirisme sont également autant d’indices de la variabilité des économies morales. « Entreprise collaborative » (p. 43) à l’heure de la « philosophie naturelle » du xviie siècle, l’empirisme reconnait des normes de bienséance et de confiance entre des gens de connaissance honnêtes et curieux, comme l’a établi Steven Shapin dans son chef-d’œuvre récemment traduit : Une histoire sociale de la vérité (Shapin, 2014). Le mot « objectivité » est une autre boite de Pandore. L. Daston l’atteste à partir de deux variantes que sont les objectivités « mécanique » et « sans perspective », prégnantes dans les sciences d’observation : la première est hantée par l’intervention de l’équation personnelle et la propension à juger du sujet de la connaissance, déviance qu’il convient d’éliminer au moyen d’outils et de protocoles automatisés (par exemple, la photographie) ; résumée dans la devise du « point de vue de nulle part » (Thomas Nagel), la seconde est solidaire d’une conception impersonnelle et anonyme de la recherche de la vérité, laquelle « met l’accent sur l’élimination des particularités des observateurs ou des groupes de recherche » (p. 56). Même si l’on n’est pas sûr de voir dans quelle mesure ces deux économies morales sont totalement distinctes, on trouvera intérêt à découvrir les usages et les sidérations métaphysiques qu’induit l’objectivité à travers les âges scientifiques.
Vingt ans après, le mot d’ordre des économies morales s’est fondu dans le programme intellectuel et institutionnel de l’« épistémologie historique », que L. Daston s’est efforcée de valoriser dans ses travaux ultérieurs (notamment sur l’« ontologie historique » des objets scientifiques) ainsi qu’à l’Institut Max-Planck d’histoire des sciences de Berlin-Dahlem. S. Van Damme le met en perspective dans son analyse érudite de la réception « plastique, ambivalente et ouverte » (p. 104) des économies morales dastoniennes, qui donne une idée des débats parfois byzantins animant l’histoire des sciences et les science studies. Sans conteste, la première des vertus de la contribution de L. Daston – son économie morale, est-on tenté de dire – aura-t-elle consisté à stimuler la libido sciendi et la curiosité des historiens, des philosophes et, pour peu qu’ils se laissent intriguer par les merveilles de la science moderne, des sociologues des sciences. Plus qu’un outil conceptuel, les économies morales auront fonctionné comme prétexte à l’enquête et à la discussion. C’est objectivement un résultat méritoire.
Arnaud Saint-Martin, « L’économie morale des sciences modernes. Jugements, émotions et valeurs, L. Daston », Sociologie du travail, Vol. 58 – n° 3 | 2016, 329-330.
Daniel Andler, Gallimard, 2023.
Page 16. « L’intelligence n’est pas une chose, phénomène, processus, fonction, mais une norme qui s’applique aux comportements. »
Page 199. Monter au sommet de la plus haute montagne, est-ce se rapprocher de la lune ? De la rhétorique du premier pas qui en annonce d’autres, d’autant plus qu’il est spectaculaire. Mais y a-t-il bien un premier pas dans ce processus ? Quel est le premier pas de la mission Apollo ? Y a-t-il alors émergence d’une novation radicale ? Ça ressemble à l’argument de la dérive, du risque, en négatif : « Si on commence comme ça, ça finira mal. » Plutôt s’inquiéter des possibles ?
Se méfier de tout : métaphores argumentatives quantitatives, se ramenant à de la mesure numérique. Même dans cette approche, identifier les points d’involution, de rebroussement du phénomène physique (contrairement à la courbe de l’exponentielle). Pousser jusqu’au bout la métaphore.
Page 205. « L’intelligence n’est pas un miracle, c’est une propriété ou capacité naturelle, régulièrement produite par un organe naturel, à savoir le système nerveux central humain. » (Impressionnant comme chaque terme est discutable, à commencer par l’image de la production).
Page 205. Il reste collé à la métaphore du mécanisme.
Page 224. Distinction de Russell entre connaissance directe (acquaintance), c’est-à-dire par les sens physiologiques, et connaissance par description, c’est-à-dire par l’intermédiaire du langage (par exemple mon quartier vs Angkor, ma sœur vs Napoléon). Mais la deuxième n’est-elle pas qu’un prolongement de l’autre ? Ou celle-ci une condition à toute description ?
Page 207. Distinction impossible (difficile ?) pour une machine entre « The electrician is working. / The washing machine is working. ». Ou encore : « Sylvie est au courant de tous les problèmes personnels de Marie, car elle est curieuse/bavarde. » (qui désigne « elle » ?)
Je suis, étonnamment, mais je crois au meilleur sens du terme, critique : sensible aux allants de soi de son argumentation, à ses certitudes implicites (même pour lui), qui ne sont pas les miennes. Par exemple
Page 260 : « cela pose problème » : « cela » n’est pas le sujet de l’action, du moins seulement de la phrase. Celui qui « pose » le problème est l’énonciateur, et d’autres peuvent formuler une phrase négative (et indépendamment d’une implication dans l’action qui pourrait être portée par un complément d’objet indirect « me »).
À force de poser toutes les limites d’une approche analytique (résolution de problèmes) de l’intelligence, il en vient (mais reste sur le palier) aux questions essentielles de la philosophie, de la sociologie, de la psychologie : la coopération sociale, le langage, l’inconscient, la socialisation, l’apprentissage, etc. Ou alors, quand il recule, il bute sur un raisonnement circulaire, tautologique : être intelligent, c’est faire preuve d’intelligence.
Et à aucun moment il n’évoque une autre limite, très matérielle : la dépendance de l’intelligence artificielle à l’environnement technologique conçu par les humains (ce qu’on pourrait peut être caractérisé par « l’Umwelt» de l’IA ?)
Un choix d’écriture fort : des textes courts, de deux à trois pages. Ça va trop vite… Pas le temps de faire connaissance, d’être touché par la situation. Des croquis, des esquisses, et la composition d’ensemble est finalement trop fragmentaire.
Belle écriture de la part de l’auteure principale, mais nettement moins convaincante quand celle-ci laisse la plume à ses collègues.
Chaque texte s’appuie sur un outil utilisé dans le service, pour aider à l’accompagnement : un schéma des relations familiales de la personne, pour montrer la singularité de chaque situation, l’inscription d’une fin de vie dans un environnement social de proximité plutôt que dans une pathologie. On meurt ou on survit aussi par son entourage…