Tal Piterbraut-Merx, Blast, 2024
Catégorie : Sociologie
Quand la naissance s’invite au travail
Shah-dia Rayan, Hélène Causse, Marie Dorge, Céline Pochon, 2020
La Familia grande
Façons de parler
Erving Goffman, Éditions de Minuit, 1987.
https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1988_num_29_4_2556
Inceste(s) – Représenter, juger, suspecter
Julie Doyon, Léonore Le Caisne, Monde commun n°9, PUF, janvier 2024
Le bureau des dominations
Dorothée Dussy, Pocket, 2013.
https://shs.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2014-2-page-127?lang=fr
La culture de l’inceste
Sorcières, sages-femmes et infirmières – Une histoire des femmes soignantes
Barbara Ehrenreich, Deirdre English, Cambourakis, 2016.
https://www.editions-rm.ca/livre/sorcieres-sages-femmes-et-infirmieres
Les domesticités
Idées reçues sur le travail – emploi, activité, organisation
Dirigé par Marie-Anne Dujarier, Le Cavalier Bleu, 2023.
Idées reçues sur le travail
https://www.cairn.info/idees-recues-sur-le-travail–9791031805818.htm
S’il y a bien un thème qui concentre nombre d’idées reçues méritant d’être démontées, c’est bien le travail. Et ce livre aborde le chantier d’excellente façon : il est bien précisé dès le sous-titre de l’ouvrage, en couverture, que « le travail » en question ne se réduit pas à « l’emploi » (et le « Code du travail », repris par l’illustration de couverture, serait alors plus correctement intitulé « code de l’emploi salarié »), qu’y seront également abordées des questions d’activité et d’organisation. Ces trois entrées sont bien équilibrées dans la table des matières, avec pour chacune une petite dizaine « d’idées reçues » traitées au fil des pages, depuis « Les étrangers prennent le travail des Français » jusqu’à « La concurrence au travail est naturelle et bénéficie à tous » en passant par « Une femme au foyer ne travaille pas ».
Deuxième mise au point bienvenue : l’étymologie de « travail » n’a rien à voir avec « tripalium », tarte à la crème des auteurs convaincus que le travail est fondamentalement corvée, et que moins on travaille, mieux on se porte. Comme le dit Dominique Lhuillier, « En somme, la tâche dans l’emploi peut “exposer” les travailleurs à des contraintes, des risques délétères, mortifères, voire mortels ; pourtant c’est dans l’activité que se construit la santé, mais à condition que l’organisation des tâches et que les conditions d’emploi n’empêchent pas le geste et la vie professionnelle en santé. »
Chaque entrée est traitée avec un effort d’objectivation, avec renvoi à des éléments factuels, en particulier des repères statistiques. L’argumentation est nuancée, explicite, sans s’interdire en conclusion une position claire, en réfutation ou éventuellement en décalage de l’affirmation. Par exemple à propos de « Les pénibilités physiques au travail, c’est du passé » : « Si finalement le progrès technologique parvient à épargner des efforts aux femmes et aux hommes au travail, c’est rarement son objectif premier. Cela passe après l’optimisation du rendement, l’accélération de la production. Ces évolutions sont ambivalentes et conditionnelles. »
Bien sûr, l’ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité. Les affirmations sélectionnées (et les auteur·es) se situent surtout dans une approche sociologique, au point de ne pas toujours tenir la promesse de bien distinguer emploi et travail. Ainsi Antonio Casilli à propos de « Les robots vont bientôt remplacer les travailleurs » : il documente la question du point de vue de l’impact sur le nombre d’emplois, sans traiter celle de la différence dans la nature des tâches effectuées par une machine, robot ou prétendue « intelligence artificielle », ou un humain. Si un opus 2 est envisagé, on pourrait imaginer quelques propositions davantage dans le champ clinique, explorant des questions de motivation, de compétence, de reconnaissance, de spécificité du travail humain. Quelques suggestions : « On ne travaille pas bien si on n’aime pas ce qu’on fait », « Le bon travail, c’est une affaire de talent », « S’il n’y a pas l’argent au bout, les gens ne fichent rien », « Avec un peu de volonté, on soulève des montagnes ».
Autre regret : la note liminaire sur la polysémie du terme « travail » propose trois champs de signification, et on peut penser que le deuxième qui est pointé, à savoir « le produit de cette activité : l’ouvrage, la production, et à partir du XVIIIe siècle, son utilité économique » aurait mérité une entrée à part entière. Le travail n’est pas qu’un processus, plus ou moins contractualisé, plus ou moins organisé, plus ou moins maitrisé par celles et ceux qui le font. C’est ce qu’évoquent des expressions comme « c’est du beau travail », ou au contraire « du travail de cochon ». On pourrait imaginer discuter d’idées reçues du type « Les agriculteurs nourrissent le monde », « Le travail à la chaine permet une production moins chère de meilleure qualité », « De plus en plus d’activités sont des “bullshit jobs” ».
Dernière réserve, sur le fond, mais qui concerne l’ensemble de cette collection « idées reçues ». S’il est bien utile de critiquer des affirmations courantes, mais inexactes, carrément fausses, voire indécentes (« Les chômeurs sont paresseux »), est-ce que l’approche ne fait pas trop confiance à la force de l’argumentation, qu’il s’agisse de convaincre directement ceux qui se retrouvent dans ces idées reçues, ou bien de fournir des arguments à ceux qui voudraient contribuer à les faire reculer ? L’idée reçue relève rarement d’un propos rationnel, circule envers et contre tout, pour des raisons complexes, qui mériteraient d’être explorées, décryptées, prises en considération. La fameuse affirmation « il suffit de traverser la rue » n’est pas le fait d’une erreur d’analyse ou d’un manque de culture en sciences sociales, et il ne suffira pas d’une mise au point du sociologue pour faire dire autre chose à son auteur. Avec certains, il y a du travail !