Loïc Bollache. HumenSciences, 2020
Étonnante influence de la pensée cartésienne : je réalise en tout cas quel point je trimbale par devers moi cette idée que « les animaux n’ont pas de langage et c’est la nature qui agit en eux selon la disposition de leurs organes, un stimulus entraine une réponse comportementale, leur faculté d’adaptation est due à leur instinct qui n’est pas de l’intelligence ». J’ai pourtant bien en tête l’idée d’une continuité du vivant, mais le constat de la frontière qu’établit le langage articulé rend difficile l’appréhension d’une intelligence, d’une forme d’autonomie, l’initiative intellectuelle de l’animal (ou même des animaux, collectivement). Parlera-t-on d’éducation, d’apprentissage, de compétences pour des animaux ? Qu’en est-il des variations interindividuelles ? Bien sûr, la question n’est pas, binaire, être ou ne pas être (intelligent) ; même pas selon un degré quantitatif ou même qualitatif (plus ou moins intelligent, intelligent à sa façon), mais en interrogeant l’usage que l’on fait du mot (par exemple un livre sur « l’intelligence » animale) ; pas non plus une question de définition (ce qu’on désigne par intelligence).
Darwin : « si considérable qu’elle soit, la différence entre l’esprit de l’homme et celui des animaux les plus élevés n’est certainement qu’une différence de degré et non d’espèces. » Ce qui revient à substantialiser (et donc substantiver) l’intelligence.
Que fait-on lorsque l’on apprend la langue des signes un chimpanzé ? Qu’est-ce que ça dit de la conception de la langue, de la langue des signes, de l’apprentissage, de la représentation du chimpanzé comme apprenant ?
Chapitre 1. Se souvenir des belles choses. La mémoire comme base de l’intelligence
Les saumons capables de reconnaitre la rivière de leur enfance dix ans plus tard ; certains éléphants leur cornac ; les dauphins le sifflement de leurs congénères après vingt ans de séparation.
Distinction mémoire sémantique/épisodique (page 42) : autant de moyens de maitriser le temps ou l’espace (des itinéraires, des lieux).
Page 56. Un peu léger en essayant de définir le langage, réduit à de la « communication interindividuelle ». Le titre du chapitre dit pourtant l’inverse : « les animaux sont bavards ». Le bavardage n’est pourtant pas de la communication utilitaire.
La complexité stupéfiante, à y regarder d’un peu près, de la communication des abeilles et de son traitement : le choix d’un nouveau lieu pour un essaim donne lieu à des échanges entre abeilles éclaireuses sur les caractéristiques des lieux repérés, jusqu’à convenir d’un choix parmi les possibles. La sélection se fait selon un processus de quorum, et donc une forme de maitrise du nombre. Les éthologues n’hésitent pas à employer le mot de démocratie.
Singe, baleines, dauphins : l’émission de sons structurés est une pratique importante et indispensable à la vie ordinaire (par la maitrise de l’espace et du temps) de nombreuses espèces.
Chapitre 3. À la rencontre de cultures animales
Trois modalités pour expliquer l’origine de comportements :
- L’inné, le physiologique (respirer)
- L’apprentissage par expérience (marché)
- L’apprentissage par imitation (parler)
Beaucoup d’exemples éloquents (les mésanges et les bouteilles de lait, des macaques et le lavage de patates douces, etc.) : au risque de l’anthropomorphisme ? Ou encore de la tautologie : comment une espèce pourrait-elle vivre sans invention et apprentissage ?
Un point majeur : les différenciations interindividuelles dans les capacités d’innovation et d’imitation.
Chapitre 4. La vie sociale des animaux
En fait il faudrait renverser la charge de la preuve : non pas chercher à démontrer que de vulgaires animaux privés du langage, de main, de cortex cérébral sont capables d’intelligence, mais partir de l’idée que des espèces adaptées à leur milieu, capables de se nourrir et de se reproduire dans la complexité du monde, disposent de facultés que nous désignons par intelligence, compétence, communication, mémoire, etc., et ce qui serait le plus intéressant, plutôt que des expériences de laboratoire, serait alors de discuter coopération avec les animaux, activités communes. Puisque nous partageons différentes formes d’intelligence, que faire ensemble ?
RMR, 591.5
https://www.humensciences.com/livre/Comment-pensent-les-animaux/55