Le fleuve de la conscience

Oliver Sacks, Seuil, 2018

Compilation d’articles, à vocation conclusive d’une carrière consacrée à bien des thèmes variés.

Vitesse

Il n’emploie pas l’expression, mais on pourrait dire « temps subjectif » : celui du moustique qui bat très vite des ailes, qui vit quelques heures, est très différent de celui de l’arbre, qui croit imperceptiblement, enchaine les quatre saisons par dizaines. Un être humain est incapable de voir les battements d’ailes du premier, et pas plus la croissance de la feuille du second (du moins sans artéfact photographique ou cinématographique. L’écoulement du temps est d’abord une sensation produite par les organes dont nous disposons, relativement stable d’un individu à l’autre (cas extrême : Parkinson, en ralenti, et syndrome de la Tourette, en accéléré), mais avec des écarts importants d’une espèce à l’autre.

« Trouver le temps long » ou bien « ne pas voir le temps passer » sont des appréciations subjectives, ancrées corporel allemand (physiologiquement, double point de vue du biologiste), variables au cours de la vie d’un sujet, mais relativement synchrones entre individus vivant à proximité, en relation.

Quelle grammaire de « d’autres substances (les agents dépresseurs) inhibent la pensée le mouvement : elles plongent dans un brouillard dense et opaque. » ?

Les autres chapitres sont beaucoup moins ébouriffants, même le chapitre éponyme. Un peu touche-à-tout, mais qui manque tout de même de socle épistémologique et philosophique solide, consistant.

https://www.seuil.com/ouvrage/le-fleuve-de-la-conscience-oliver-sacks/9782021177664

Repousser les frontières ?

Collectif. Gallimard Folio Essais, 2014

Actes du forum philo Le Monde/Le Mans

Le chapitre le plus intéressant, de loin, est celui du géographe, parce qu’il mobilise des concepts utiles, parce qu’il a le sens du territoire. Les autres se perdent dans des métaphores plus ou moins maladroites, plus ou moins maitrisées, plus ou moins creuses.

https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070461653-repousser-les-frontieres-collectif/

https://www.babelio.com/livres/Ait-Touati-Repousser-les-frontieres/815774

Le charme discret de l’intestin

Giulia Anders, Actes Sud, 2017

De la bonne vulgarisation scientifique, mais qui en dit peut-être plus long sur l’épistémologie de la science moderne qu’un traité savant : la biologiste assume, avec entrain, de raconter la digestion avec force personnages (les sucs, les bactéries, les différents organes) et péripéties (le dialogue des deux sphincters pour l’expulsion de matière fécale, avec Monsieur Cerveau à l’arrière-plan). Chaque acteur a son rôle, chaque organe, microorganisme ou molécule a sa fonction, constituant une trame narrative où pénètre la part de tarte aux fraises, pour en ressortir digérer. On dévoile les astuces (le trou de l’œsophage dans l’estomac un peu décalé), on s’apitoie sur les êtres méconnus ou délaissés (les amygdales, l’appendice) pour leur redonner leurs lettres de noblesse, leur place dans l’histoire.

La métaphore principale me semble rester celle du mécanisme : des emboitements de processus, le traitement algorithmique des aliments, avec quelques ratés nécessitant l’intervention du mécanicien. L’usine cellulaire, mais sans pousser l’anthropomorphisme jusqu’à la culture de l’organisation, son investissement symbolique. Elle aborde, par la bande, la dimension disant psychologique, symbolique de ce qu’on « digère » plus ou moins bien (page 103 : l’inconscient, c’est l’organique sans sensation directe).

Du ravage de la notion de greffe : les organes sont-ils vraiment interchangeables ? Ou encore de l’approche médicamenteuse : on administre un même produit à l’ensemble du corps.

De l’unité corporelle : un seul système digestif, qui définit un individu. Rappel sur le développement embryonnaire (pages 20 et 21) : agencements de trois tubes (système sanguin, nerveux et digestif).

https://www.actes-sud.fr/catalogue/sciences-humaines-et-sociales-sciences/le-charme-discret-de-lintestin

Classer nos manières de parler, classer les gens

Malo Morvan, éditions du commun, 2022

Démontage (déconstruction) minutieux, précis et efficace de la langue (française, bretonne, etc.), dans une approche surtout sociolinguistique, donc en intégrant une lecture sociale : il n’y a pas de « locutorat » homogène du « français », quel que soit le périmètre plus ou moins restreint donné à ce mot ; il y a toujours des usages sociopolitiques de la définition de la langue, et des démarches normatives ; les êtres sociaux regimbent toujours aux catégorisations savantes ou politiques, l’utilisation ordinaire d’une langue étant d’abord pragmatique et créative.
L’écriture prend des tournures d’un manuel, avec beaucoup de listes d’arguments, avec aussi le souci de la réflexivité (c’est même à la conclusion : quel usage de la langue dans un tel travail universitaire et éditorial ?).
Et puis l’impression d’enfoncer des portes ouvertes, pour redécouvrir le langage ordinaire sous les représentations savantes, académiques : lui-même écrit plusieurs fois sous le contrôle de ce qui va de soi quand on regarde la vraie vie : bien sûr que les gens ne respectent pas les normes des prescriptions, pas plus les linguistiques que les autres.

https://journals.openedition.org/lectures/56504