La méduse qui fait de l’œil – et autres merveilles de l’évolution

Jean Deustch, Seuil, 2017.

En introduction, la citation de Darwin anticipant l’objection qu’un organe d’une complexité et même une perfection (?) comme l’œil ne pourrait avoir été inventé pas à pas, par petits ajustements successifs sélectionnés favorablement. L’auteur en fait un prétexte pour parcourir toutes les modalités existantes dans le règne animal pour capter la lumière et se repérer ainsi dans son environnement. L’approche strictement technique, au ras des mécanismes biologiques tels qu’ils peuvent être mis en schéma ou en croquis, épuise le lecteur (moi). Le « comment » n’épuise pas le « pourquoi », ne serait-ce que le « à quoi bon ». Et même le « comment » pourrait chercher à être accessible à n’importe quel lecteur un peu féru de sciences sans le semer très vite en route, en prenant de la hauteur, en montant en généralités, en élaborant du concept plutôt qu’en le noyant avec du factuel.

Important pour comprendre ce qui semble aller de soi dans d’autres livres : l’évolution n’est pas qu’affaire de biochimie, à l’échelle du génome, ou des agencements moléculaires. On ne peut pas la raconter sans se confronter à d’autres échelles, de l’organe, de l’individu, de son environnement, à différentes échelles de temps.

Septembre 2023. Je lis cette note après en avoir produit une autre à propos de Lévi-Strauss, et je capte au passage une idée intéressante. Pour le développement de l’œil comme pour celui de l’agriculture, le modèle de la technique nous focalise sur l’élaboration des mécanismes. Pour l’agriculture, je perçois bien, même s’il y aurait à creuser, tout l’intérêt de ne pas en rester aux seuls gestes techniques (planter une graine, l’arroser, la récolter, préparer le sol, etc.), à embrasser la question à l’échelle de l’activité humaine, de son contexte social, de la représentation du vivant et de l’environnement des humains, qui mènent une vie à part entière sans se restreindre à « inventer l’agriculture ». Sans verser dans l’anthropomorphisme, peut-être pourrait-on voir l’organisme développant ses facultés de perception, et alors un œil ?

Violence partout, justice nulle part

Monde commun, n°1 – PUF, septembre 2018

Des banlieues parisiennes à l’Assam, de l’Iran au Mexique, un même constat émergeant, écrasant : la symétrie d’usage de la violence de part et d’autre de la légalité ; et même la dissymétrie, comme si l’uniforme, le droit, les procédures couvraient une violence plus dure contre les êtres dominés. La défense du pouvoir en place autorise des pratiques violentes même contre des mouvements inoffensifs ou beaucoup plus faibles, avec le soutien d’une propagande sans fard : c’est au nom de la paix civile que l’État mène la guerre contre ses populations. Il faut alors être très violent pour provoquer l’État sur son terrain, assumer la confrontation désignée comme « lutte contre le terrorisme », séditions, menaces contre l’ordre social.

La revue se limite à opposer à cette violence étatique une aspiration à la justice, avec la confusion classique du terme (appareil judiciaire/valeurs morales). Quitte à percevoir la grande difficulté à obtenir celle-ci de celle-là ! Dommage que ni éditorial ni les articles n’aillent plus loin : quelle alternative à la violence étatique en refusant le jeu violence/contre violence, appareil d’État légitime/illégitime, complicités croisées ? Des propositions un peu différentes : les associations de banlieues qui dénoncent les violences policières sans y répondre sur le terrain (ou en complément des émeutes) ; des mouvements rebelles féministes en Assam ; l’anthropologue qui se dérobe aux représentations (journalistes, agent de DEA).

Autre trait frappant : comme les appareils violents sont symétriques, on circule sans souci de l’un à l’autre, y compris le pire mercenaire du Katanga, ou les repentis guérilléros.

https://www.puf.com/content/Violence_partout_justice_nulle_part