Suzanne Simha, Armand Colin, 2007.
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Aporie majeure du scepticisme : si je doute de tout, c’est y compris du devoir de douter. Si tout est faux, même cette assertion l’est.
Mais s’il y a toujours des choses « vraies » (ou au moins des assertions vraies), comment puis-je les connaitre ? Comment puis-je les distinguer de celles qui sont fausses ? Dans la recherche des vérités, quelle place, quel rôle, pour la raison ou l’instinct, le jugement et l’évidence ?
« Le sceptique ne donne son assentiment à rien de ce qui est obscur. Mais il n’est même pas dogmatique lorsqu’il prononce sur les choses obscures des mots de sceptique, comme pas plus ceci que cela, je ne définis rien, car il comprend que, de même que la proposition “tout est faux” laisse entendre qu’elle est elle-même fausse et qu’il en va ainsi de “rien n’est vrai”, de même l’expression pas plus ceci que cela déclare qu’elle-même n’est pas préférable et s’englobe dans le reste. » (Sextus Empiricus)
Une théorie peut-elle disqualifier la théorisation ? Position de Hume : plutôt recourir à l’expérience pour limiter la prétention à dire le vrai et tout connaitre par l’exercice de la raison.
Page 18 : définition de la position « sceptique » de Hume.
À cogiter : la posture sociale, le rapport aux autres et au monde, biographique, de Hume, comme de Descartes, de Montaigne, de Pascal, de Rousseau : pas du tout universitaire à la mode XXe siècle, avec une carrière à mener, mais tout de même soucieux de reconnaissance éditoriale par leurs pairs ; du côté des commentateurs du monde, avec un usage du langage à distance de la pratique. Ils développent leur besoin, bien humain, de manipulation dans l’exercice conceptuel, dans l’activité de la raison, ou encore dans l’approche expérimentale du laboratoire qui n’est pas l’atelier. Hume use du raisonnement pour promouvoir l’expérience, l’intuition. Là aussi, curieux Wittgenstein : toujours dans la tentation du faire (ingénieur aéronautique, militaire, instituteur, architecte, technicien soviétique, soignant), et celle de l’érémitisme (en Norvège, puis en Irlande)
Qu’il est difficile de saisir la pensée d’hommes du temps passé, d’un autre monde, d’une autre forme de vie, sans par exemple de conscience historique des faits naturels, sans notre profondeur du temps ou de l’espace, sans les mêmes conceptions de la puissance humaine de ses limites dans sa confrontation à la nature, et alors sans distinguer les questions auxquelles ils tentent de répondre (car ils ne parlent jamais tout seuls).
Page 29 : l’homme comme un animal parmi d’autres.
Page 35 et 36. Empirisme : toute connaissance découle d’une impression faite par l’expérience du monde, sans à priori ; même pas le préalable d’un esprit qui perçoit : la perception est première. Il n’y a pas de substance pensante, l’esprit est l’ensemble des perceptions.
Page 37. Définition « impression » : toute perception, émotion, idée qui constitue la matière première du vivant, le sujet lui-même (et donc pas de conscience préalable comme en phénoménologie). La sédimentation des impressions produit de la mémoire, et alors de l’imagination, par réactivation d’impressions antérieures.
Page 45 : distinction entre Hume et Kant, Berkeley et Husserl
Mais d’où vient l’idée du vide, dont on ne peut avoir d’impression ? Comment peut-on parler de ce qui ne nous a jamais impressionnés ? Et comment s’associent les idées ? Par quelle procédure un ensemble d’impressions aboutit-il à une idée complexe cohérente ? Qu’est-ce qui fait tenir les mots ensemble ?
Page 72. Causalité : qu’est-ce qui nous rend certains que le soleil se lèvera demain ?
Page 76. Pas de certitudes ! La causalité comme ne relevant que d’habitudes et de croyances. « Comme d’habitude le soleil se lève, et donc je crois qu’il se lèvera demain. »
Page 78. La causalité n’est ni un principe fondé en raison ni un principe fondé dans l’observation d’une connexion réelle. C’est un principe de la nature humaine, de l’esprit devenu nature. « L’habitude est le principe par où s’est effectuée cette correspondance, principe si nécessaire à la subsistance de notre espèce et au règlement de notre conduite, en toutes circonstances et toute occurrence de la vie humaine. » (Essai sur l’entendement humain)
Page 103. Éprouver de l’orgueil : comme si l’orgueil était une matière à tâter, à sentir. « Je suis amoureux » : dans quel état ? Mais il ne s’agit pas de propos descriptif. Limite de Hume (et consorts) : il tente de décrire un système, un fonctionnement avec divers agents (impressions, raisons, passions, etc.), divers processus (ressentir, réfléchir). Il prétend ainsi proposer une description raisonnée de « la nature humaine », comme les savants décrivent une nature terrestre, en classant et catégorisant les passions (cf. page 110).
« Notre esprit n’est pas comme un instrument à vent dont le son cesse avec le souffle, mais comme un instrument à cordes où, après chaque coup, les vibrations retiennent toujours quelque son qui s’éteint graduellement et insensiblement. » (Traité sur la nature humaine)
Étude centrée sur l’individu, mais qui s’ouvre ensuite à ses relations avec autrui par l’étude de la sympathie (résonance entre passions des uns et des autres) tout cela dans le souci persistant de résister à l’appel de l’universel ou de l’absolu.
« En général, on peut affirmer qu’il n’y a pas dans les esprits humains une passion telle que l’amour de l’humanité uniquement comme telle, indépendamment des qualités personnelles, des services ou d’une relation à nous-mêmes. »
« Il n’est pas d’humain, ni de créatures sensibles, dont le bonheur ou le malheur nous touche en quelque mesure, à condition que ce bonheur ou ce malheur nous soit en quelque mesure “présent”. » (Traité sur la nature humaine)
Page 131. Belle question : la morale dérive-t-elle de la raison ou du sentiment ? Dans le premier cas, elle peut être universelle (je respecte tous les êtres humains). Dans le second, elle est conditionnée par la sympathie (et alors l’antipathie) pour l’autre. Pour Hume : effet d’une régulation intrapersonnelle plutôt que raisonnable.
« Qu’il faut nécessairement qu’un sentiment se manifeste, pour préférer les tendances utiles aux tendances nuisibles. Ce sentiment ne peut être qu’une sympathie pour le bonheur des hommes, ou un écho de leurs malheurs. »
« Il n’est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde à une égratignure de mon doigt. Il n’est pas contraire à la raison que je choisisse de me ruiner pour prévenir le moindre malaise d’un Indien ou d’une personne complètement inconnue de moi. Il est aussi peu contraire à la raison de préférer à mon plus grand bien propre un bien reconnu moindre et d’aimer plus ardemment celui-ci que celui-là. »
Page 153. Idée sympathique : on prend plaisir à être utile aux autres.
Page 172. La justice trouve son origine dans la nécessité de travailler à créer son bien.
Conclusion complexe, mais qui touche (mais ne fait que toucher) les questions du langage comme charnière entre le mur de la réalité et la porte de la culture humaine, de tout ce qu’on peut évoquer, imaginer, exprimer du monde. Ça en dit long sur la difficulté à renoncer à l’illusion d’une parole en prise avec le monde (voire antérieure à la réalité, avec une existence transcendantale), énonçant des vérités, sans verser dans le scepticisme ridicule (tout est faux), le langage sans substance, insensé, capable de dire n’importe quoi. Ce qui est bien un dilemme de penseur en chambre, de celui qui se prive d’une activité productive, directement en prise avec une transformation du monde ou d’autrui, et qui doute alors de sa parole.