Le Bonheur des familles

Carlos Fuentes, 2006. Gallimard, 2009.

« Todas las familias felices ».

On accroche plus ou moins d’un récit à l’autre, d’autant que le propos est souvent éprouvant. Mais il y a souvent qqch chez les personnages, qui sortent de l’ordinaire, ou au contraire, sont bien ordinaires, même le président ou l’industriel, humains très humains, et alors à nul autre pareil. Ça grince, beaucoup.

Une variété remarquable de style. Je mets de côté un des «chœurs» intercalés entre les récits, mélange stupéfiant de narrateurs dans un seul fil narratif.

https://www.folio-lesite.fr/catalogue/le-bonheur-des-familles/9782070437764

https://www.revue-etudes.com/critiques-de-livres/le-bonheur-des-familles/12524

https://www.universalis.fr/encyclopedie/le-bonheur-des-familles/

Au voleur ! Anarchisme et philosophie

Catherine Malabou, PUF, 2022.

Page 32. « La contingence de l’arkhé (le pouvoir au sens d’Aristote, fondement de la cité humaine) tient à la révélation paradoxale – c’est-à-dire en même temps la dissimulation – de son hétéro-normativité. »

Chapitre 4. L’anarchie ontologique

Reiner Schürmann. Remonter à l’origine, au principe du principe, pour déconstruire la logique ordonnée, hiérarchique, de la cause à l’effet, du principe à l’acte, du commandement à l’obéissance. Qui a donné le premier ordre ? En vertu de quoi ?

Aller jusqu’au bout de la critique du « double bind » : sois spontané, autonome, libre. Le premier prescripteur a d’abord fait acte de liberté. Le dernier travailleur a choisi de suivre la prescription.

L’évènement comme élément d’unité de la réalité, bien plus que la causalité.

Chapitre 5. L’anarchie éthique

Comment dire l’an-archique en l’absence d’anarchie du langage ? (Levinas)

Page 128. « C’est parce que la possibilité de la philosophie est dès le départ une indifférence à l’autre, et par là une indifférence et une insensibilité au mal. L’être est le mur d’indifférence de la philosophie. »

Page 130. Le « double bind » est un commandement auquel on ne peut obéir qu’en désobéissant. L’injonction éthique, quant à elle, désarticule absolument toute relation entre commander et obéir, ainsi qu’entre obéissance et désobéissance, tout simplement parce qu’elle ne donne pas d’ordre, ne gouverne pas. Tout impératif au sens courant se trouve alors doublé, pris de vitesse par cette « obéissance précédant tout écoute du commandement », cette « obéissance à un ordre s’accomplissant avant que l’ordre ne se fasse entendre, l’anarchie même. »

Page 361 citation : « tu m’as bien compris ! » (À confronter à De Gaulle : « je vous ai compris »)

Page 376. « Nos institutions feignent de se rebiffer lorsque, de l’intérieur, on les critique ; mais elles s’en accommodent ; elles en vivent ; c’est à la fois leur coquetterie et leur fard. Mais ce qu’elles ne tolèrent pas, c’est que quelqu’un leur tourne soudain le dos et se mette à hurler vers l’intérieur : “voici ce que je viens de voir ici, maintenant, voici ce qui se fasse. Voici l’évènement.” » (Foucault)

https://www.puf.com/content/Au_voleur

https://www.philomag.com/livres/au-voleur-anarchisme-et-philosophie

https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/01/23/catherine-malabou-philosophe-plastique_6110617_3260.html

Le monde extérieur

Maurizio Ferraris, Cerf, 2001

« La tâche n’est pas tellement de voir ce que personne n’a encore vu, mais de penser à ce que personne n’a encore pensé à propos de ce que tout le monde voit. » (Schopenhauer)

Page 91. Critique de Kant : « savoir s’il existe un monde extérieur » est pour lui la même question que « savoir si ce monde est exactement comme je me le représente. » Ferraris s’en prend à la distinction entre noumène et phénomène : où est le rouge, quand je dis « la rose est rouge » ? Seulement dans ma perception, dans mon œil ? Le rouge dans sa matérialité resterait inaccessible ?

Nous ne connaissons (voyons ?) que l’extérieur des choses : si on coupe la pomme de terre en deux, on voit deux morceaux de pommes de terre.

Étonnant, et, disons, bien peu français : c’est pétillant, mais aussi consistant ; très sérieux, mais aussi très ancré dans l’environnement quotidien, jusqu’au clin d’œil. Et pourtant frustrant, parce que plus ébouriffant que coiffant ; de l’ordre de la discussion continuée à voix haute : pas facile de s’y insérer.

Et pourquoi vouloir à ce point (ça semble important, et il y consacre beaucoup de place, de temps et d’énergie) s’en prendre à Kant ? Il a manifestement une préoccupation de vulgarisation, d’accessibilité par l’ancrage dans l’ordinaire, mais il ne va pas jusqu’à raconter son travail, ce qui l’anime, ce qui porte son engagement subjectif.

Bon résumé du problème de Kant : page 153 (à reformuler pour moi !)

Page 170 : distinguer ce qui est (et alors du ressort de l’ontologie) de ce que l’on perçoit (étudié par l’épistémologie)

À force de multiplier les exemples évidents, banals parce que relevant de la vie quotidienne, on comprend encore moins l’objet de son discours, avec qui il polémique, qui et de quoi il veut persuader. Il me semble que ma distinction réalité/réel me suffit, que son combat est alors d’arrière-garde.

Quelle est ma définition de concept ? Un mot organisateur d’un discours, ce serait déjà pas mal ; un point d’appui pour parler, élaborer avec autrui. Parler de quelque chose, bien sûr, comme n’importe quel mot.

Critique de l’empirisme : l’œil ne voit pas toujours clair, se laisse berner par des illusions d’optique (le bâton brisé dans l’eau, le mouvement du soleil), et pas mieux pour l’ouïe, qui n’entend pas tout, plus que tout quand on hallucine.

Résumé de son approche, page 302 et suivantes

Le problème ontologie/épistémologie rapporté à la distinction voir/penser : peut-on voir sans penser ? Penser sans avoir vu ? Questions profondes ou bien bébêtes ? Au moins, reformuler de façon ouverte : comment, ou quand voir sans penser ? Comment, ou quand, penser sans avoir vu ?

Sa postface en dit long : ce qui le préoccupe est de se situer dans sa relation filiale à Derrida, dont il partage le jeu de langage et la forme de vie, de colloques en publication savante à dédicacer.

https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/19889/Le-monde-exterieur

https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/12/23/le-monde-exterieur-de-maurizio-ferraris-la-realite-sensible-fait-trembler-la-philosophie_6155553_3260.html

https://www.philomag.com/articles/maurizio-ferraris-limbecile-que-donc-je-suis?check_logged_in=1

L’horizon par hasard

Anne Martine Parent, éditions La Peuplade, 2023.

Page 52

mes mots tombent par terre
roulent dans la poussière jusqu’à
faire des petits chats
pendant que
brulent les images
feu de larmes et de joie

53

Je porte mes cicatrices à l’envers. Je tricote des histoires à n’en plus finir. Je garde mes scarabées bien au chaud dans ma gorge. Une pause. Et puis tout recommence : cicatrices histoires scarabées. Une symétrie sans trop d’accords. Un coucher de soleil aphone.

Entretiens avec Claude Lévi-Strauss

Georges Charbonnier, Julliard, 1961.

Page 25. Voir une société du dedans ou du dehors (« de l’extérieur »). Que peut-on partager du deuil d’une famille qui n’est pas la sienne, donc « du dehors » ? Mais, si on veut dépasser l’expérience de pensée (et c’est bien le cas de l’ethnologue qui se rend sur « le terrain », beaucoup plus en tout cas que l’historien qui doit se contenter de sources), que fait-on là, au cimetière, si on n’a rien à voir avec le défunt et sa famille ? Si l’ethnologue partage la vie de la société qu’il visite, qu’il a choisi de visiter, qui a négocié, plus ou moins, sa visite auprès d’eux, dans quelle mesure est-il encore à l’extérieur ? Et si l’ethnologue peut accéder, même au sens seulement géographique, à cet autre univers social, c’est bien qu’il est aussi quelque part dedans le même monde, qu’il partage un peu leur forme de vie (et c’est avoir en particulier du point de vue de la langue : les humains les plus étrangers ont toujours réussi par finir à se parler). Mais je dis cela en n’ayant jamais connu cette expérience de l’altérité radicale, à peine celle d’une société non francophone.

Plus perturbant encore : sa revendication de « froideur », de recours à « des indices » (indicateurs ?), et même à des « notes » à attribuer aux sociétés. Difficile de croire qu’il parvienne à mettre ainsi de côté toute empathie avec les humains qui l’accueillent, qui l’hébergent, qui le nourrissent. Il ose pourtant enchainer avec une comparaison audacieuse, effectivement bien froide : la relation entre particules physiques quantiques. Tout comme on ne peut connaitre simultanément la position et la vitesse d’un électron, on ne pourrait pas « chercher à connaitre une société de l’intérieur et la classer de l’extérieur par rapport à d’autres sociétés. » C’est bien peut-être une limite de la préoccupation structuraliste : établir des classements.

Pages 30 et 31. Vision très classique du néolithique : « Tout un ensemble de procédés qui vont permettre aux sociétés humaines, non plus comme aux temps paléolithiques, de vivre au jour le jour, au hasard de la chasse, de la cueillette quotidienne, mais d’accumuler… ». Les artistes rupestres, le maitre des techniques de chasse, les experts de la cueillette des champignons n’apprécieront peut-être pas d’être renvoyés à de l’improvisation quotidienne, à des pratiques hasardeuses. Et l’accumulation des agriculteurs n’est jamais garantie, est toujours menacée parce que les procédés, même les plus modernes, ne suppriment pas les aléas des cultures.

Vision de l’écoulement du temps social absurde : comme si les agriculteurs ou éleveurs novices (!) avaient en ligne de mire, des dizaines de générations à l’avance, le bout du tunnel du paradis néolithique, « quelque chose d’utilisable ». Il est victime, un peu pitoyable je trouve, de la substantivation du « chasseur-cueilleur du paléolithique qui s’essaie aux pratiques agricoles », qui passerait donc, à force d’obstination, du stade novice au stade expert, qui incarnerait à lui tout seul « la révolution néolithique ». Essayez d’imaginer des humains faire des expériences, s’échiner à planter quelques graines, amadouer quelques aurochs, enfin, juste pour voir, ou alors en se disant « ça finira bien par se transformer en froment ou en bœuf, un peu de patience ». C’est profondément cas contradictoire avec une caractéristique essentielle du vivant : chaque individu vit au maximum, de son mieux, avec de bonnes raisons de faire ce qu’il fait, avec des bénéfices immédiats et concrets pour lui. Personne ne reste novice. Le noviciat n’a de sens que dans la perspective de devenir expert, à l’échelle d’une vie humaine. Même aujourd’hui, où le développement des sciences a considérablement élargi les horizons temporels, personne ne travaille pour les générations à venir, à moins d’être très conscient que ce serait aussi son intérêt à court terme.

Ce qui ne va pas, dans le fond : c’est une vision déterministe, téléologique de l’histoire, là aussi vu « de l’extérieur », c’est-à-dire non pas du point de vue de Sirius, mais du point de vue d’une autre société humaine, tout en haut de la hiérarchie, de la pyramide des sociétés, « développée » (qui considère qu’elle a fini de se…). Deux erreurs majeures : les autres sociétés ne sont que des stades antérieurs de développement, « primitives » ; la nôtre est aboutie. Tout le vivant montre le contraire : chaque être, chaque écosystème est abouti, ou plus exactement vit de son mieux, est engagé dans une dynamique optimale de développement. Il n’y a pas d’être ébauche, croquis, esquisse d’êtres à venir. Même un embryon est très adapté à son milieu. Même un bébé se débrouille, en général, y parvient dans la plupart des cas, pour qu’on s’occupe de lui.

Est-ce encore vrai pour les techniques ? Y a-t-il eu « des ébauches d’écriture » (page 32) ? Non, pas plus qu’un téléphone à quatre ans et un fils et une ébauche de Smartphones. Oui, parce qu’il y a une démarche consciente, volontariste de perfectionnement de la part de l’ingénieur (et c’est une métaphore parasite ensuite la biologie ou l’histoire, à la recherche d’un deus ex-machina de l’évolution du vivant et des sociétés).

Page 40. De nouveau « ébauche », cette fois « de société politique et de gouvernement ». Cette récurrence est significative du poids des représentations d’une époque, y compris (surtout ?) chez des intellectuels.

Page 62. « Niveaux d’authenticité » : correspond assez bien l’idée qu’une décision doit être prise au plus près des individus qui sont en mesure de l’assumer par leur activité.

« Le fait de posséder une automobile ne m’apparait pas comme un avantage intrinsèque, c’est une défense indispensable, dans une société où d’autres gens ont une automobile ; mais si je pouvais choisir, et si tous mes contemporains voulaient bien y renoncer aussi, avec quel soulagement porterais-je la mienne au rebut ! »

Les sens de la maison

Revue Sensibilités, 2017

Curieuse (et profonde ?) polysémie du titre :

Les sens, comme les cinq sens ? Ce que fait la maison au corps (aux corps) qu’elle abrite, en limitant la vue (par les murs) en contenant les odeurs) d’où la VMC) ; en isolant du froid et du vent, et alors en assurant une température stable ; en supprimant les bruits extérieurs pour faire résonner les paroles. Ce que font les corps dans la maison : on peut vivre, voire on doit rester immobile, statique ; on y fait corps avec ceux qui habitent la maison, en distinction de ceux qui la visitent, et de ceux qui n’y rentrent pas. Ceux qui ont la clé, ceux à qui on ouvre la porte, ceux qui ne se permettent même pas d’y toquer (ou bien qui y pénètrent par effraction).

Le sens, comme la signification qu’on lui donne. La symbolique positive (Home Sweet Home, la maison comme havre) ou négative (la maison hantée). La maison protectrice, maternante, cocon. La maison protégée, enceinte, grillagée. La maison huis clos, prison (« Va dans ta chambre ! », le gynécée, la cave ou le grenier secret).

Le sens de circulation : la maison espace clos et ouvert (pour recevoir, pour produire). La maison inscrite dans un environnement : au sens strict, un jardin, au plus large, dans un territoire rural. En tout cas la maison qui n’est pas l’immeuble, l’insula, le domus.

Citation Cézanne page 107 : de la relativité des points de vue (celui des paysans étant fortement dévalorisé, raillé en l’occurrence) sur un paysage. Le tâcheron de passage ne voit pas la même montagne Sainte-Victoire !

Augustin Berque, page 108 : la campagne comme lieu de villégiature des urbains de retour de la ville, mais en déconnexion du travail productif paysan (le jardinage se limite à l’autoconsommation). Le pavillon pendant fixe de la voiture : l’un ne va pas sans l’autre, avec tout ce que ça peut avoir d’enfermant, de cloisonnement. La voiture pour aller d’un pavillon à un autre.

Ce qui cloche dans le monde

Gilbert Keith Chesterton, 1910. Gallimard, 1948.

Le type de lecture qui nous fera dire que les chroniqueurs journalistiques contemporains sont loin du niveau de leurs devanciers d’il y a un siècle, du temps de l’écrit. Il a un art de la formule remarquable, un peu pirouette, mais qui fait souvent mouche.

« Le controversiste est, par-dessus tout, un bon auditeur. L’enthousiaste vraiment ardent n’interrompt jamais ; il prête aux arguments de l’adversaire une attention aussi intense que celle d’un espion aux dispositions de l’ennemi. »

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/ce-qui-cloche-dans-le-monde-de-g-k-chesterton-lu-par-francois-billetdoux-3756176

Comprendre Hume

Suzanne Simha, Armand Colin, 2007.

https://www.dunod.com/lettres-et-arts/comprendre-hume

Aporie majeure du scepticisme : si je doute de tout, c’est y compris du devoir de douter. Si tout est faux, même cette assertion l’est.

Mais s’il y a toujours des choses « vraies » (ou au moins des assertions vraies), comment puis-je les connaitre ? Comment puis-je les distinguer de celles qui sont fausses ? Dans la recherche des vérités, quelle place, quel rôle, pour la raison ou l’instinct, le jugement et l’évidence ?

« Le sceptique ne donne son assentiment à rien de ce qui est obscur. Mais il n’est même pas dogmatique lorsqu’il prononce sur les choses obscures des mots de sceptique, comme pas plus ceci que cela, je ne définis rien, car il comprend que, de même que la proposition “tout est faux” laisse entendre qu’elle est elle-même fausse et qu’il en va ainsi de “rien n’est vrai”, de même l’expression pas plus ceci que cela déclare qu’elle-même n’est pas préférable et s’englobe dans le reste. » (Sextus Empiricus)

Une théorie peut-elle disqualifier la théorisation ? Position de Hume : plutôt recourir à l’expérience pour limiter la prétention à dire le vrai et tout connaitre par l’exercice de la raison.

Page 18 : définition de la position « sceptique » de Hume.

À cogiter : la posture sociale, le rapport aux autres et au monde, biographique, de Hume, comme de Descartes, de Montaigne, de Pascal, de Rousseau : pas du tout universitaire à la mode XXe siècle, avec une carrière à mener, mais tout de même soucieux de reconnaissance éditoriale par leurs pairs ; du côté des commentateurs du monde, avec un usage du langage à distance de la pratique. Ils développent leur besoin, bien humain, de manipulation dans l’exercice conceptuel, dans l’activité de la raison, ou encore dans l’approche expérimentale du laboratoire qui n’est pas l’atelier. Hume use du raisonnement pour promouvoir l’expérience, l’intuition. Là aussi, curieux Wittgenstein : toujours dans la tentation du faire (ingénieur aéronautique, militaire, instituteur, architecte, technicien soviétique, soignant), et celle de l’érémitisme (en Norvège, puis en Irlande)

Qu’il est difficile de saisir la pensée d’hommes du temps passé, d’un autre monde, d’une autre forme de vie, sans par exemple de conscience historique des faits naturels, sans notre profondeur du temps ou de l’espace, sans les mêmes conceptions de la puissance humaine de ses limites dans sa confrontation à la nature, et alors sans distinguer les questions auxquelles ils tentent de répondre (car ils ne parlent jamais tout seuls).

Page 29 : l’homme comme un animal parmi d’autres.

Page 35 et 36. Empirisme : toute connaissance découle d’une impression faite par l’expérience du monde, sans à priori ; même pas le préalable d’un esprit qui perçoit : la perception est première. Il n’y a pas de substance pensante, l’esprit est l’ensemble des perceptions.

Page 37. Définition « impression » : toute perception, émotion, idée qui constitue la matière première du vivant, le sujet lui-même (et donc pas de conscience préalable comme en phénoménologie). La sédimentation des impressions produit de la mémoire, et alors de l’imagination, par réactivation d’impressions antérieures.

Page 45 : distinction entre Hume et Kant, Berkeley et Husserl

Mais d’où vient l’idée du vide, dont on ne peut avoir d’impression ? Comment peut-on parler de ce qui ne nous a jamais impressionnés ? Et comment s’associent les idées ? Par quelle procédure un ensemble d’impressions aboutit-il à une idée complexe cohérente ? Qu’est-ce qui fait tenir les mots ensemble ?

Page 72. Causalité : qu’est-ce qui nous rend certains que le soleil se lèvera demain ?

Page 76. Pas de certitudes ! La causalité comme ne relevant que d’habitudes et de croyances. « Comme d’habitude le soleil se lève, et donc je crois qu’il se lèvera demain. »

Page 78. La causalité n’est ni un principe fondé en raison ni un principe fondé dans l’observation d’une connexion réelle. C’est un principe de la nature humaine, de l’esprit devenu nature. « L’habitude est le principe par où s’est effectuée cette correspondance, principe si nécessaire à la subsistance de notre espèce et au règlement de notre conduite, en toutes circonstances et toute occurrence de la vie humaine. » (Essai sur l’entendement humain)

Page 103. Éprouver de l’orgueil : comme si l’orgueil était une matière à tâter, à sentir. « Je suis amoureux » : dans quel état ? Mais il ne s’agit pas de propos descriptif. Limite de Hume (et consorts) : il tente de décrire un système, un fonctionnement avec divers agents (impressions, raisons, passions, etc.), divers processus (ressentir, réfléchir). Il prétend ainsi proposer une description raisonnée de « la nature humaine », comme les savants décrivent une nature terrestre, en classant et catégorisant les passions (cf. page 110).

« Notre esprit n’est pas comme un instrument à vent dont le son cesse avec le souffle, mais comme un instrument à cordes où, après chaque coup, les vibrations retiennent toujours quelque son qui s’éteint graduellement et insensiblement. » (Traité sur la nature humaine)

Étude centrée sur l’individu, mais qui s’ouvre ensuite à ses relations avec autrui par l’étude de la sympathie (résonance entre passions des uns et des autres) tout cela dans le souci persistant de résister à l’appel de l’universel ou de l’absolu.

« En général, on peut affirmer qu’il n’y a pas dans les esprits humains une passion telle que l’amour de l’humanité uniquement comme telle, indépendamment des qualités personnelles, des services ou d’une relation à nous-mêmes. »

« Il n’est pas d’humain, ni de créatures sensibles, dont le bonheur ou le malheur nous touche en quelque mesure, à condition que ce bonheur ou ce malheur nous soit en quelque mesure “présent”. » (Traité sur la nature humaine)

Page 131. Belle question : la morale dérive-t-elle de la raison ou du sentiment ? Dans le premier cas, elle peut être universelle (je respecte tous les êtres humains). Dans le second, elle est conditionnée par la sympathie (et alors l’antipathie) pour l’autre. Pour Hume : effet d’une régulation intrapersonnelle plutôt que raisonnable.

« Qu’il faut nécessairement qu’un sentiment se manifeste, pour préférer les tendances utiles aux tendances nuisibles. Ce sentiment ne peut être qu’une sympathie pour le bonheur des hommes, ou un écho de leurs malheurs. »

« Il n’est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde à une égratignure de mon doigt. Il n’est pas contraire à la raison que je choisisse de me ruiner pour prévenir le moindre malaise d’un Indien ou d’une personne complètement inconnue de moi. Il est aussi peu contraire à la raison de préférer à mon plus grand bien propre un bien reconnu moindre et d’aimer plus ardemment celui-ci que celui-là. »

Page 153. Idée sympathique : on prend plaisir à être utile aux autres.

Page 172. La justice trouve son origine dans la nécessité de travailler à créer son bien.

Conclusion complexe, mais qui touche (mais ne fait que toucher) les questions du langage comme charnière entre le mur de la réalité et la porte de la culture humaine, de tout ce qu’on peut évoquer, imaginer, exprimer du monde. Ça en dit long sur la difficulté à renoncer à l’illusion d’une parole en prise avec le monde (voire antérieure à la réalité, avec une existence transcendantale), énonçant des vérités, sans verser dans le scepticisme ridicule (tout est faux), le langage sans substance, insensé, capable de dire n’importe quoi. Ce qui est bien un dilemme de penseur en chambre, de celui qui se prive d’une activité productive, directement en prise avec une transformation du monde ou d’autrui, et qui doute alors de sa parole.

Poèmes pour apprendre à lacer ses souliers

Serge Pey. Le Castor Astral, 2022.

Assez fascinant par la capacité à associer des mots de registres extrêmement différents d’un vers à l’autre, en provoquant des effets de sens toujours incongrus. De l’art de l’écart, au risque de perdre, ou au moins de lasser le lecteur.

Étonnante biographie finale, sur le mode de l’éloge, voire de l’étalage prétentieux de la satisfaction de l’œuvre accomplie. Monsieur est graphomane, touche-à-tout, tient à le faire savoir.