Jerome Bruner, 2002.
https://journals.openedition.org/osp//522
https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2005-1-page-120.htm
Lectures en tout genre
Anouk Lejczyk, Les éditions du Panseur, 2023.
Deux envies qui se rejoignent dans ce livre : faire, travailler en forêt ; écrire, travailler les mots, le langage. On dit « forestier » comme urbaniste, jardinier, ou, un peu, maraicher, plagiste (mais pas montagnard) : des humains qui s’affairent dans un type d’espaces, qui l’entretiennent, l’aménagent, l’exploitent. On pourrait dire « langagier » pour ceux, celles, qui usent du langage, qui captent les mots des autres, qui étiquètent des choses et les actes.
Anouk est écrivaine et devient bucheronne, devient écrivaine en bucheronnant. Elle tient un carnet de son année de formation, un CAP, en quatre saisons. Elle se coltine et alors consigne les outils, les gestes, les instructions, les arbres, les aléas météo. Elle raconte les consignes plus ou moins imagées des formateurs, les astuces des professionnels, démonstrations à l’appui, et il n’y aurait plus qu’à faire : mais ça ne le fait pas, ou pas toujours, parce que pas le bon appui, pas le bon coup d’œil, la lame mal aiguisée, l’arbre récalcitrant. Elle expose les règles, les EPI, et comment on s’en arrange, parce que là c’est pas pareil, vous comprenez.
Elle le dit en vignettes, pour saisir des scènes de la vie quotidienne, aux confins du récit, du poème et du théâtre. Elle donne à entendre les formateurs, les collègues, sa voix intérieure. Les mots sont crus, directs, familiers, composant à petites touches un tableau nuancé, subtil : des gars virils et un peu balourds, mais pas trop non plus ; des travaux parfois fastidieux, inutiles, qui abiment la forêt et ceux qui s’en occupent, mais qui peuvent être aussi jouissifs, précieux ; des corps qui peinent, mais qui se façonnent à la tâche.
Elle parle du travail, celui qu’on apprend, celui qui se transmet. Elle dessine de beaux portraits de professionnels. Elle ne verse pas dans le pamphlet ou la diatribe, mais invite tout de même, au passage, à s’interroger sur ce qu’on fiche là, à planter au carré ou à couper ras, à géométriser le foisonnement des forêts. Elle donne envie d’affuter nos outils pour cultiver des récits de travail !
Extraits
Persona
Bonjour
je m’appelle Anouk j’ai bientôt 30 ans
je vis à Paris en couple
j’ai fait des études de lettres et d’art un peu de vidéo
je suis autrice j’écris sur les forêts
j’en ai marre de lire des trucs pas précis
alors je voulais faire un peu de terrain
mettre les mains dans le cambouis
histoire de mieux savoir de quoi je parle
et puis j’aime ça tout simplement
passer du temps en forêt
avoir une activité physique aussi
j’aime bien me mettre à l’épreuve
voir si je tiens le coup à bosser dehors en hiver
j’ai jamais touché à une tronçonneuse mais je veux bien apprendre
et je suis plutôt végétarienne
Max Antoine dit : C’est bien Anouk
c’est une très bonne démarche,
avec moi tu vas apprendre plein de choses
par contre il va falloir aussi couper des arbres
ok ?
19/20
nouveau chantier dans une parcelle infestée de moustiques bien vénères
proche de la nationale du périph’ et des zones industrielles
températures printanières en route vers l’été
les arbres presque tous dépérissants
beaucoup de mares
j’abats correct
débite mal
touche le solde deux fois de suite avec mon guide
émousse directe ma chaîne
ça coupe plus rien je force comme une débile
de la sciure très fine vient se coller à mon pantalon
je transpire mais je peux pas quitter mon pull à cause des moustiques
plus d’essence je pars faire le plein
croise Dimitri qui billonne nickel
avec des beaux grands gros copeaux
le midi c’est un chasseur qui nous prépare à bouffer
pâté de sangliers en entrée puis taboulé-barbeuc
je me fais remarquer avec mes princesseries
moi monsieur je mange du gibier mais pas vos merguez
Max impose une session reco
il ramène vingt échantillons qu’il accroche à un fil entre deux arbres
Vous les numérotez de 1 à 20
je veux le nom en français et en latin
et pas de tricherie
je retrouve mes réflexes de bon élève
tout excitée à l’idée d’avoir 20/20
mais j’aide quand même mes camarades discretos
fait la maligne avec l’alisier et la bourdaine
cale sur le nom latin du prunellier
puis me rappelle in extremis le philosophe
Primus spinosa
je me plante seulement sur le peuplier
Populus canescens au lieu de Populus nigra
c’est comme les abattages
chaque fois un petit truc qui foire
Roland-Garros
deuxième journée dans la parcelle 26
chacun chacune dans son coin on bute la fougère plus grande que nous
j’imagine mes collègues avec des têtes de minots
un bâton et une faucille à la main
peut-être chantant à l’unisson
Lulu ténor
Thierry soprano
très peu de semis sous les vieux chênes
ça facilite le travail mais le rend désespérant
on fait du bruit on pollue on gaspille du carbu
on amochit le paysage
pour trois pousses par-ci par-là qui se feront becqueter par des chevreuils le soir même
au bout d’un moment j’entends plus de bruit autour
Thierry s’est arrêté je sens son regard sur moi
j’éteins ma bécane
enlève mon casque
me retourne
il est à une quinzaine de mètres et une question le taraude :
Tu regardes le tennis ?
Christian Bobin, Gallimard Folio, 1996.
Fage, 2022.
Cal Newport, 2021. Éditions Trédaniel, 2023.
Titre original : A World Without Email.
Il appelle « intelligence collective hyperactive » un « flux de travail gravitant autour des conversations incessantes alimentées par des messages non structurés et écrits à la volée, diffusés par e-mail ou messagerie instantanée ».
Effets négatifs d’un travail dominé par la gestion des mails :
Séduction (illusoire) de l’e-mail : la communication asynchrone (réponds-moi quand tu peux) à grande vitesse.
Beaucoup de naïveté épistémologique : l’évolution façonne le cerveau humain ; une innovation technologique (l’e-mail, le like, l’étrier à l’époque de Charles Martel) bouleverse le monde du travail (provoque l’essor du féodalisme).
Page 107. « L’intégration de méthodes de synchronie est couteuse (réunion de travail, appel téléphonique, rendez-vous physique), mais tenter de tout organiser en en faisant l’économie est encore plus couteux. »
Décisions incontrôlées : l’outil e-mail s’impose de lui-même du fait de la pression à l’augmentation de la réactivité.
Pour augmenter la productivité du travail intellectuel :
Pas de grandes innovations dans ses recommandations : associer les personnes concernées à la discussion et à l’élaboration de l’organisation du travail ; utiliser des outils de gestion de projet (tableaux de bord, méthodes agiles).
https://www.editions-tredaniel.com/travailler-sans-mails-p-10764.html
Hugo Mercier, humenSciences, 2022.
Des effets de l’artificialisation (en particulier l’accroissement numérique) du milieu de vie humain sur les facultés cognitives, les jeux de langage, les interactions langagières ordinaires. Tout comme chacun se nourrit désormais de la Terre entière, chacun est en relation potentielle avec n’importe quel autre individu de l’espèce parmi sept-milliards. D’où le poids considérable des institutions, États ou bien médias.
Explorer minutieusement toutes ces questions de crédulité, de vigilance cognitive, revient à étudier les usages du langage : c’est précieux !
Son cadre de référence : la psychologie cognitive évolutionniste. Il est effectivement plus intéressant de s’appuyer sur des arguments historiques, donc que sociaux, que seulement biologique (le fonctionnement cérébral, censé éclairer les mécanismes cognitifs). Pour autant, ça donne une approche mono disciplinaire forcément étroite, à la seule échelle d’une personne.
Il s’en prend à une question monumentale : comment se construisent les représentations usuelles, les opinions, les croyances quant aux fonctionnements sociaux, biologiques, physiques ? Comment les influencer ? Mais il se la pose du point de vue des dominants, de ceux qui sont en mesure de prétendre détenir la vérité, qui ont besoin de convaincre, de persuader, de faire agir, en particulier par les moyens de la propagande. Et puis son champ se limite aux propositions discutables, portées par le langage : ce que chacun fait de ce qu’on lui dit, des messages, des informations, des idées dont il est destinataire.
Dans son approche : l’origine de nos croyances est d’abord notre expérience immédiate, intégrée sous forme d’intuition. Je vois bien que la terre est plate (ou bosselée), que le soleil se déplace dans le ciel. J’ai certaines relations avec ma famille, mes amis, mes collègues, et suis alors enclin à considérer qu’il s’agit de relations ordinaires entre les humains, que les attitudes et comportements à cette échelle peuvent être généralisés, transférer à l’échelle des groupes plus importants dans lesquels nous vivons à l’ère des médias et des institutions de masse. J’ai un certain rapport au temps, à l’espace (mon milieu de vie, au sens de phone), qui influence ce que je peux comprendre de ce qui se joue à d’autres échelles (et ces jeux complexes sont d’abord langagiers).
Page 17. Ses exemples de crédulité et montre surtout les limites d’une grille de lecture cognitive, pour comprendre des phénomènes qui sont aussi, simultanément (qui « sont » au sens de « qui doivent être décrits ») holistiques, sociologiques, inconscient, etc. il y a pourtant de conception polie tique forte derrière l’affirmation que les masses sont manipulables : celle des apprentis manipulateurs (compris Marx avec son socialisme à prétention scientifique, attribuant aux philosophes la responsabilité de « transformer le monde »)
Page 30. la transmission intergénérationnelle n’est pas univoque, simple, directe. L’enfant résiste, filtre, apprend à apprendre comme à apprendre autre chose, autrement, apprendre à faire à sa façon, à parler comme il peut, comme il veut, et pas seulement comme il doit. Exemple de l’alimentation : comment sait-on, apprend-on ce qui est comestible, bénéfique, dangereux ? (Au-delà de la question inné/acquis, pas très intéressante)
« À toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes. » (Marx et Engels, L’idéologie allemande)
Âge 34. On n’adopte pas des idées en fonction de l’offre, quelle que soit la capacité de persuasion du publicitaire, du tribun ou du gourou, mais en fonction de la demande, c’est-à-dire de ses besoins, de ses convictions présentes, de « ce qui nous parle », plus ou moins.
Logique évolutionniste : peut-on comprendre un comportement culturel complexe (construction d’un habitat, cri d’alerte) selon le seul critère de la « survie du plus apte », la transmission de caractère favorable à l’organisme ?
Page 54. Toute communication doit avoir un degré minimal de fiabilité pour être utile au récepteur comme à l’émetteur, et justifier son cout.
Page 62. À propos des systèmes 1 et 2 de Daniel Kahneman (Thinking fast and slow) : trop simpliste dans un découpage crédulité vs esprit critique.
Page 68 et suivantes : analogie avec eux l’alimentation. L’être humain omnivore doit faire le tri dans tout ce qu’il lui est possible et nécessaire de manger, sans se contenter de règles simples de communication comme ce peut être le cas pour des espèces spécialisées sur un seul type d’aliments.
Page 90 et suivantes. De la force du « contrôle de plausibilité » et du raisonnement comme mécanismes favorisant « la vigilance ouverte ». Mais c’est un peu court de réduire la question d’un changement de paradigme scientifique, comme les arguments antivaccins, à cette approche de psychologie cognitive : il y a aussi question d’enjeux politiques, institutionnels, d’implication subjective.
Page 101. « Regarder une personne en train de faire son travail – un athlète professionnel, un artisan doué –, cela peut être une grande source de plaisir. » « Compétences porn ». Parce que source d’apprentissage ?
Page 135. « Mettre l’accord sur la diligence – les efforts que font les autres pour nous communiquer des informations utiles – plutôt que sur l’intention de tromper change la perspective. Au lieu de traquer le mensonge, c’est-à-dire une raison de rejeter un message, nous devrions traquer la diligence, c’est-à-dire une raison d’accepter et un message. Ce serait plus logique du point de vue de la vigilance ouverte, car nous n’aurions plus qu’à rejeter ce qu’on nous dit en l’absence de certains signaux nous suggérant que nos interlocuteurs font preuve d’une diligence suffisante à notre égard », c’est-à-dire qu’il y a convergence d’intérêts ou de motivations.
Page 143. Critique de la contagion émotionnelle : il a sans doute raison à l’échelle d’une foule ; ça me parait plus court sur le seul critère de la performance évolutionniste (il serait trop simple de manipuler autrui en jouant de ses émotions par des messages faux et performatif comme des cris d’alerte). Il préfère en tout cas la notion de « vigilance émotionnelle », pour moduler la réaction (mais même la notion de « contagion » pour une infection n’implique pas la circulation à l’identique d’une maladie, il y a bien variabilité idiosyncrasie des réactions physiologiques).
Page 156. Exemple de foule raisonnable, à la violence très circonscrite, loin des déplorations des réactionnaires. Bon, il y a tout de même eu quelques massacres le 4 septembre 1792…
Chapitre 10 la circulation des rumeurs est un phénomène bien trop complexe pour expliquer correctement par le seul angle de la psychologie cognitive évolutionniste. Il aboutit d’ailleurs à des recommandations de vigilance un peu légère !
Page 245. Je pratique la religion de mon contexte propre, quelles que soient ses prétentions universelles.
Page 322. « À l’exception des sciences qui reposent presque entièrement sur les maths (et même dans ce cas ?), toute idée doit pouvoir être communiquée avec une clarté suffisante pour qu’un lecteur instruit et attentif puisse l’appréhender. Si on a sous les yeux une bouillie de mots compliqués, si on y comprend toujours rien même après quelques efforts, même avec tout le contexte, c’est qu’il n’y a rien à comprendre. »
https://www.humensciences.com/livre/Pas-ne-de-la-derniere-pluie/116
https://www.afis.org/Pas-ne-de-la-derniere-pluie
Pierre Zaoui, Seuil, 2010.
https://www.seuil.com/ouvrage/la-traversee-des-catastrophes-pierre-zaoui/9782021029833
https://www.philomag.com/articles/pierre-zaoui-comment-ca-va-avec-la-catastrophe
L’accroche est intéressante, et d’ailleurs le premier chapitre : au nom de quoi distinguer ce qui mérite des développements conceptuels de philosophes de ce qui relève de la vie ordinaire, voire de la vulgarité ?
Je n’y ai pas trouvé mon compte par la suite. Il me semble qu’il n’évite pas les considérations morales trop générales, assez loin d’une « philosophie de terrain » telle qu’annoncée ou envisagée.
Souleymane Diamanka, 2022. Points, 2023.
Comme dit Élisabeth, des rimes plutôt que de la poésie… Ou pourquoi je suis réticent à la prosodie portée par les textes du slam : pas très subtil à mon oreille, au moins sur la page, sans être portés par une voix et un corps.
https://www.editionspoints.com/ouvrage/de-la-plume-et-de-l-epee-souleymane-diamanka/9782757898437
https://www.la-croix.com/Culture/Souleymane-Diamanka-mots-dune-joie-2023-03-08-1201258270