Yves-Marie Bercé, Humensis, 2022.
Mois : avril 2024
La Bagarre !
Léo Lebrun, Le Panseur, 2024.
Western
La plèbe – Une histoire populaire de Rome
Nicolas Tran, Passés composés, 2023.
https://passes-composes.com/book/379
https://www.nonfiction.fr/article-11982-la-plebe-de-rome-populace-ou-peuple-roi.htm
Au bord des mondes – Vers une anthropologie métaphysique
Mohamed Amer Meziane, Vues de l’esprit, 2023.
cf. notes
Anarchisme et anthropologie – Pour une politique matérialiste de la limite
Alberto Giovanni Biuso, Asinamali, 2015.
La philosophie comme contre-culture
Guillaume Le Blanc, PUF, 2014.
Disponible sur Cairn.
L’économie morale des sciences modernes
Lorraine Daston, 1995. La Découverte, 2014.
https://www.editionsladecouverte.fr/l_economie_morale_des_sciences_modernes-9782707182708
Lorraine Daston, L’économie morale des sciences modernes. Jugements, émotions et valeurs, La Découverte, Paris, 2014, 128 p.
En 1995, l’historienne des sciences américaine Lorraine Daston publiait dans la revue Osiris un article ambitieux, intitulé « The Moral Economy of Science ». Elle y proposait une analyse des soubassements inséparablement épistémiques et moraux de l’entreprise scientifique, à la lumière de la notion d’« économie morale ». C’est ce texte qui est traduit dans L’économie morale des sciences modernes, augmenté d’une préface et d’un long commentaire d’une quarantaine de pages de l’historien Stéphane Van Damme. Pourquoi le présenter sous forme d’un (petit) ouvrage plutôt que dans une revue pour spécialistes, la Revue d’histoire des sciences par exemple ? Pour S. Van Damme, cela va de soi : certes, après coup, c’est le « manifeste d’une nouvelle histoire », d’une « épistémologie historique » aujourd’hui bien installée, dont le dessein est toujours d’historiciser les « catégories fondamentales de la pensée scientifique », comme l’objectivité ou la vérité. Sans forcément l’annoncer de façon explicite et tonitruante en 1995, L. Daston proposait (on ne sait quel temps utiliser pour qualifier une contribution passée et replacée dans une collection éditoriale nommée « Futurs antérieurs ») des pistes d’enquête pour l’histoire des sciences qui contribuaient à déplacer les lignes.
Dans l’article, l’historienne définit et inventorie les implications de la notion d’« économie morale », qu’elle reprend librement d’Edward P. Thompson. « Une économie morale, écrit-elle, est un tissu de valeurs saturées d’affects qui se tiennent et fonctionnent dans une relation bien définie » (p. 23). L’« économie » renvoie à un « système équilibré de forces émotionnelles » s’insinuant dans l’activité de collectifs de science (on se demande dès lors pourquoi ne pas dire « système ») ; le mot « morale », lui, rappelle la normativité de ce système combinatoire d’affects et de valeurs. L. Daston met également en avant le registre de l’émotion, contre la vision froidement rationnelle du travail de la science qui prévaut en épistémologie. Jusque-là, rien d’original – si l’on se réfère du moins à la définition fondatrice que Robert K. Merton commençait de donner de l’éthos de la science dès le milieu des années 1930 : « un complexe de valeurs et de normes teinté sur le plan affectif et qui font l’homme de science » (Merton, 1973, p. 269). Dans sa formulation initiale, ce complexe de valeurs, de présuppositions, de croyances et de coutumes contraint l’activité des savants ; il définit une « structure normative » composée de normes « techniques » (c.-à-d. cognitives) et « morales » (comprenant le « communisme », l’« universalisme », le « désintéressement » et le « scepticisme organisé »). Bien qu’elle refuse d’assimiler « ses » économies morales aux « normes mertoniennes » (pp. 29-30), l’on ne voit pas en quoi la proposition de l’auteur en diffère ici substantiellement (ce que confirme, entre les lignes, S. Van Damme, p. 70). La différence se situe ailleurs. Tandis que chez R. K. Merton la communauté scientifique est une, homogène et structurée sur la base d’un seul référentiel normatif, L. Daston met l’accent sur le pluriel : les sciences modernes, précise-t-elle dans un accès de fonctionnalisme, « ont besoin d’économies morales » (p. 22). En outre, souligne-t-elle, les économies morales sont plus qu’une source de motivation exogène comme le seraient les normes de l’éthos mertonien ; elles entrent dans la « boite noire » de l’entreprise scientifique, de la construction sociale de la connaissance scientifique, et en cela cette caractérisation dépasserait le travail fondateur de R. K. Merton (en particulier sa thèse de 1935 sur l’essor de la science dans l’Angleterre du xviie siècle, publiée in extenso dans Osiris en 1938). N’épiloguons pas sur le fait que la position de R. K. Merton est plus subtile en réalité. Plus problématique est la description culturaliste des fondements de la pratique scientifique : les économies morales et les valeurs de la « culture ambiante » (p. 29) étant « partie intégrante de la science », l’historien se trouve confronté à une sorte de « bouillon de culture savante » indifférencié où tout est dans tout, et réciproquement. Livrant sa définition des économies morales de façon expéditive, L. Daston est plus diserte dans ses tentatives d’exemplification.
Dans le reste de l’article, elle restitue l’axiologie spontanée d’opérations et de traditions de connaissance que l’historiographie des sciences a naturalisées avec le temps : la quantification, l’empirisme et l’objectivité. La quantification, découvre-t-on au gré des nombreux exemples, suture des formes de sociabilité savante, des vertus épistémiques et des critères de recevabilité des résultats, comme l’impartialité et l’impersonnalité. L’idéal d’exactitude et le « culte scientifique de la mesure et de la précision » ne tombent pas du ciel, ils émergent à des moments historiques et s’incarnent dans la matérialité des pratiques savantes. Les diverses formes historiques de l’empirisme sont également autant d’indices de la variabilité des économies morales. « Entreprise collaborative » (p. 43) à l’heure de la « philosophie naturelle » du xviie siècle, l’empirisme reconnait des normes de bienséance et de confiance entre des gens de connaissance honnêtes et curieux, comme l’a établi Steven Shapin dans son chef-d’œuvre récemment traduit : Une histoire sociale de la vérité (Shapin, 2014). Le mot « objectivité » est une autre boite de Pandore. L. Daston l’atteste à partir de deux variantes que sont les objectivités « mécanique » et « sans perspective », prégnantes dans les sciences d’observation : la première est hantée par l’intervention de l’équation personnelle et la propension à juger du sujet de la connaissance, déviance qu’il convient d’éliminer au moyen d’outils et de protocoles automatisés (par exemple, la photographie) ; résumée dans la devise du « point de vue de nulle part » (Thomas Nagel), la seconde est solidaire d’une conception impersonnelle et anonyme de la recherche de la vérité, laquelle « met l’accent sur l’élimination des particularités des observateurs ou des groupes de recherche » (p. 56). Même si l’on n’est pas sûr de voir dans quelle mesure ces deux économies morales sont totalement distinctes, on trouvera intérêt à découvrir les usages et les sidérations métaphysiques qu’induit l’objectivité à travers les âges scientifiques.
Vingt ans après, le mot d’ordre des économies morales s’est fondu dans le programme intellectuel et institutionnel de l’« épistémologie historique », que L. Daston s’est efforcée de valoriser dans ses travaux ultérieurs (notamment sur l’« ontologie historique » des objets scientifiques) ainsi qu’à l’Institut Max-Planck d’histoire des sciences de Berlin-Dahlem. S. Van Damme le met en perspective dans son analyse érudite de la réception « plastique, ambivalente et ouverte » (p. 104) des économies morales dastoniennes, qui donne une idée des débats parfois byzantins animant l’histoire des sciences et les science studies. Sans conteste, la première des vertus de la contribution de L. Daston – son économie morale, est-on tenté de dire – aura-t-elle consisté à stimuler la libido sciendi et la curiosité des historiens, des philosophes et, pour peu qu’ils se laissent intriguer par les merveilles de la science moderne, des sociologues des sciences. Plus qu’un outil conceptuel, les économies morales auront fonctionné comme prétexte à l’enquête et à la discussion. C’est objectivement un résultat méritoire.
Arnaud Saint-Martin, « L’économie morale des sciences modernes. Jugements, émotions et valeurs, L. Daston », Sociologie du travail, Vol. 58 – n° 3 | 2016, 329-330.
Verbier – Herbier verbal à l’usage des écrivants et des lisants
Michel Volkovitch, éditions Maurice Nadeau, 2000.
Les racines de la colère
Vincent Jarousseau, Les Arènes, 2019.