Mal-travail – Le choix des élites

François Ruffin, Les Liens qui libèrent, 2024.

http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Mal_travail-9791020924131-1-1-0-1.html

On peut se réjouir qu’une personnalité médiatique écrive à propos du travail, à celles et ceux qui le font, avec une certaine considération : c’est au travail comme une activité essentielle à la vie sociale que s’intéresse François Ruffin ici, le travail qui fait du bien à celle ou celui qui réussit à bien le faire. Il est important également qu’un responsable politique s’alarme du discours péjoratif dominant chez ses collègues : le travail réduit à des emplois à refourguer à toute force aux divers tire-au-flanc ; le travail comme un cout pesant sur la compétitivité des entreprises ; le travail comme volant d’ajustement pour le financement des retraites et des prestations sociales ; le travail malmené par les approches gestionnaires de « planeurs ».

Son propos s’appuie d’une part sur son expérience de contact direct avec des travailleuses et travailleurs, dans le cadre de son activité de représentant politique venant par exemple soutenir des salariés en grève, d’autre part sur des travaux de chercheurs, et il dit en particulier sa dette à l’égard de la somme récemment parue Que sait-on du travail ?. Sur ces bases, il fait son travail d’homme politique : signaler des problèmes sociaux, dénoncer ce qui parait injuste, identifier des responsabilités, élaborer des propositions pour améliorer ce qui doit ou peut l’être.

Le tableau d’ensemble qu’il dresse du monde du travail est sombre : ce sont les situations les plus difficiles sur lesquelles on sollicite le député, et ce sont les statistiques les plus alarmistes qu’il est soucieux de pointer. Les explications mises en avant sont diverses, et même quelque peu hétéroclites : est-ce que c’est le capitalisme général qui est la cause de tous les problèmes ? Ou plus particulièrement sa déclinaison française, la situation dans d’autres pays comme la Suède semblant moins sinistre ? Ou bien son cours récent, du fait des politiques menées ces dernières années, alors que la situation était plus favorable auparavant, même dans le cadre du capitalisme bien de chez nous ?

Que faire sur ces bases ? Abolir le capitalisme ? La marche est haute. Réorienter la culture managériale des grandes entreprises françaises ? Il y a du pain sur la planche. Changer le personnel politique, pour prendre des mesures plus favorables aux salariés ? On comprend bien que c’est plutôt dans cette approche que se situe logiquement l’auteur, aspirant, lui et son courant politique, à assumer des responsabilités gouvernementales. Mais encore faudrait-il alors prendre la mesure de ce qui est faisable, et puis comprendre pourquoi ça n’a pas été fait plutôt. Ce n’est pas faute de cogitations et de promesses de la part des diverses alliances de partis de gauche depuis les années 70. François Ruffin souhaiterait en particulier « imposer la parole des travailleurs : qu’ils puissent influencer leur propre travail, les discuter, le modifier ». C’était l’objet des lois Auroux de 1982, prises dans une conjonction politique et syndicale bien plus favorable qu’actuellement. Qu’est-ce qui garantirait qu’un ministre du travail « nouveau front populaire » ferait mieux ?

C’est un dilemme classique de la fonction de représentant politique. Pris au pied de la lettre, que signifie être « porte-parole » ? « Donner la parole » ? Exercer le pouvoir « au nom du peuple » ? Chacun maitrise plus ou moins sa parole, a plus ou moins d’espace pour la faire entendre, mais c’est la sienne, et jamais quelque chose qui se donne ou se transporte. « Prendre la parole », ça, oui : dans notre affaire, parler de son travail, en parler à ses collègues, en parler publiquement. Et il serait bien pertinent que chacun puisse le faire sans crainte pour son emploi, qu’on ne puisse opposer les intérêts particuliers d’une entreprise (le fameux secret commercial ou industriel) et les intérêts collectifs (la plus grande transparence sur toutes les décisions qui engagent la vie économique et sociale). Il serait bienvenu que même les élites, à commencer par les ministres et les présidents, disent sans fard leur travail, montrent l’exemple en exposant leurs dilemmes, leurs astuces, leurs tours de main pour faire ce qu’elles et ils ont à faire. Si nos démarches de récits de travail ou d’ateliers d’écriture peuvent leur être utiles, nous sommes disposés à étudier toute sollicitation !