Le patriarcat des objets – Pourquoi le monde ne convient pas aux femmes

Rebekka Endler. Dalva, 2002.

L’angle est intéressant, prometteur même, et la question d’importance, mais le traitement bien décevant.

Le titre d’emblée suspect, à bien y réfléchir. Il accole deux termes en une figure choc, avec un soupçon d’intrigue. En fait, à le regarder de près, c’est un slogan un peu vide, ce que confirme le sous-titre aguicheur et façon magazine. Ce ne sont pas les objets en eux-mêmes qui relèvent du patriarcat, mais leur conception d’abord, leur usage ensuite, pris dans un contexte social. Ce n’est pas « le monde » qui ne convient pas « aux femmes », parce que l’auteur ne parle que de son petit espace social, ne s’adresse au milieu étroit de son lectorat potentiel.

Je ne suis pas sûr d’en faire partie : beaucoup d’allusions culturelles très contemporaines m’échappent, par ce qu’elles relèvent de l’univers télévisuel ou musical diffusé sur des canaux que je ne fréquente pas. Elle semble poursuivre des discussions entamées ailleurs, sur le mode de forums et commentaires. Pourquoi pas, mais il faut faire partie de sa communauté pour en profiter, ce qui exige un certain cout d’entrée.

Son propos ratisse large sur les questions féministes, bien au-delà des objets. Il y a certes de quoi dire identifier les éléments structurels et des inégalités de genre, au foyer, à l’atelier comme au bureau. Mais il y aurait de quoi approfondir le champ annoncé des objets matériels : elle le fait, superficiellement, pour les vêtements (sans poche, ce qui entraine le recours au sac à main), les selles de vélo, la climatisation (souvent trop froide pour les femmes,), la hauteur des sièges, les médicaments. Mais encore ?

Après Le charme discret de l’intestin, cette lecture interroge sur une approche qui serait spécifiquement française des essais, avec une certaine exigence en termes de réflexion intellectuelle sur la vie sociale ordinaire. Mais tout de même, il y a aussi Habermas ou Rosa de l’autre côté du Rhin. Il est probable que Mona Cholet ou Claire Marin franchisse la frontière dans l’autre sens.

Qu’est-ce qu’il aurait fallu en faire ? Qu’est-ce qui m’aurait convenu ? Fouiller des questions simples, mais radicales : « les femmes », ce sont des corps de diverses tailles, poids, métabolisme, physiologie, selon leur âge, leur contexte socioculturel, etc. La question ne peut pas se réduire à un monde matériel adapté à une femme standard, concomitamment à ce qui est prévu pour un homme standard. Comment faire autrement qu’avec des moyennes ?

Est-ce que le problème n’est pas fondamentalement lié à l’industrialisation, c’est-à-dire la standardisation de la production ? En faisant du cousu main, du fait maison, du do it yourself, on pourrait peut-être (à quelles conditions ?) être davantage responsable de ce qu’on fabrique. Ce serait aussi un sujet à porter entre producteurs et consommateurs autour d’un produit ou d’un service : que faites-vous, les uns et les autres, pour prendre en compte la dimension genrée dans votre activité professionnelle, à commencer par des considérations pragmatiques d’objets matériels ?

Pas de définition conceptuelle ou de modèle argumenté, pas non plus de recherche de démarches alternatives. La distinction stricte entre les femmes d’une part, les hommes d’autre part, est paralysante, s’il s’agit d’y répondre en restant dans les généralités. La question est nécessairement à traiter à plus petite échelle, et diverses échelles. Au niveau individuel, ce ce que chacun peut, pourrait faire, fait déjà, pour adapter le monde matériel à ses caractéristiques et besoins, et pas l’inverse. Au niveau des interactions directes, entre proches, définir des aménagements qui conviennent à tous : des chaises de diverses tailles plus tôt que prévu pour un corps moyen. Par contre, plus on monte dans l’échelle des relations, plus la question du standard est difficile. Et sans doute y a-t-il un seuil où il y a trop de monde à satisfaire pour que ça ne soit démesurément compliqué. D’où l’intérêt de ne pas grimper trop vite dans l’échelle sociale, et même d’abord de grimper le moins possible.

https://www.editionsdalva.fr/livre/le-patriarcat-des-objets

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/c-est-encore-nous/c-est-encore-nous-du-jeudi-18-mai-2023-6345199

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