Daniel Andler, Gallimard, 2023.
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Intelligence-artificielle-intelligence-humaine-la-double-enigme
https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/06/04/intelligence-artificielle-intelligence-humaine-la-double-enigme-de-daniel-andler-chimeriques-machines-qui-pensent_6176109_3260.html
Page 16. « L’intelligence n’est pas une chose, phénomène, processus, fonction, mais une norme qui s’applique aux comportements. »
Page 199. Monter au sommet de la plus haute montagne, est-ce se rapprocher de la lune ? De la rhétorique du premier pas qui en annonce d’autres, d’autant plus qu’il est spectaculaire. Mais y a-t-il bien un premier pas dans ce processus ? Quel est le premier pas de la mission Apollo ? Y a-t-il alors émergence d’une novation radicale ? Ça ressemble à l’argument de la dérive, du risque, en négatif : « Si on commence comme ça, ça finira mal. » Plutôt s’inquiéter des possibles ?
Se méfier de tout : métaphores argumentatives quantitatives, se ramenant à de la mesure numérique. Même dans cette approche, identifier les points d’involution, de rebroussement du phénomène physique (contrairement à la courbe de l’exponentielle). Pousser jusqu’au bout la métaphore.
Page 205. « L’intelligence n’est pas un miracle, c’est une propriété ou capacité naturelle, régulièrement produite par un organe naturel, à savoir le système nerveux central humain. » (Impressionnant comme chaque terme est discutable, à commencer par l’image de la production).
Page 205. Il reste collé à la métaphore du mécanisme.
Page 224. Distinction de Russell entre connaissance directe (acquaintance), c’est-à-dire par les sens physiologiques, et connaissance par description, c’est-à-dire par l’intermédiaire du langage (par exemple mon quartier vs Angkor, ma sœur vs Napoléon). Mais la deuxième n’est-elle pas qu’un prolongement de l’autre ? Ou celle-ci une condition à toute description ?
Page 207. Distinction impossible (difficile ?) pour une machine entre « The electrician is working. / The washing machine is working. ». Ou encore : « Sylvie est au courant de tous les problèmes personnels de Marie, car elle est curieuse/bavarde. » (qui désigne « elle » ?)
Je suis, étonnamment, mais je crois au meilleur sens du terme, critique : sensible aux allants de soi de son argumentation, à ses certitudes implicites (même pour lui), qui ne sont pas les miennes. Par exemple
- l’idée que l’intelligence est une capacité à résoudre des problèmes au sens restreint de la résolution d’un exercice de mathématiques, de démonstration d’un théorème, de prise de décision posément argumentée, en évacuant tout ce qui relève de l’intuition, de l’inconscient, de l’aléatoire, de la singularité (quand je ne trouve pas mes mots ?) ;
- Ou encore du travail « consommateur d’énergie », quand on peut soutenir aussi qu’il en prodigue… Je crois qu’il reste souvent pris dans une représentation de l’homme-machine, plutôt qu’élément biologique et social.
- La confusion individu/espèce, par nécessité (choix ?) de tenir un discours valable pour un représentant indifférencié de l’espèce (au hasard, un homme majeur).
Page 260 : « cela pose problème » : « cela » n’est pas le sujet de l’action, du moins seulement de la phrase. Celui qui « pose » le problème est l’énonciateur, et d’autres peuvent formuler une phrase négative (et indépendamment d’une implication dans l’action qui pourrait être portée par un complément d’objet indirect « me »).
À force de poser toutes les limites d’une approche analytique (résolution de problèmes) de l’intelligence, il en vient (mais reste sur le palier) aux questions essentielles de la philosophie, de la sociologie, de la psychologie : la coopération sociale, le langage, l’inconscient, la socialisation, l’apprentissage, etc. Ou alors, quand il recule, il bute sur un raisonnement circulaire, tautologique : être intelligent, c’est faire preuve d’intelligence.
Et à aucun moment il n’évoque une autre limite, très matérielle : la dépendance de l’intelligence artificielle à l’environnement technologique conçu par les humains (ce qu’on pourrait peut être caractérisé par « l’Umwelt» de l’IA ?)