Éloge de l’ordinaire

Sandra Laugier, éditions du Cerf, 2021

Page 100. « lorsqu’un mot n’a pas de signification, cela veut dire qu’on ne lui en a pas donné une, et non qu’il ne peut en avoir une. Dans le cas des énoncés philosophiques, la question est moins de savoir s’ils n’ont pas de sens en eux-mêmes que de savoir si nous avons réussi ou simplement cherché à en donner un. » (Jacques Bouveresse, Dire ou ne rien dire)

Il faut tenir bon sur ce principe tout simple : « le sens d’un mot, d’une proposition » ne veut rien dire (est platonicien) si on s’imagine quelque part, indépendamment d’un humain qui parle, un mot avec un sens attaché, ainsi par exemple qu’une boîte avec le bijou à l’intérieur.

« gavagaï », ça veut dire quoi pour l’explorateur, pour l’indigène ? Comment se déroule, se manifeste l’accord sur le sens ? Et même quand on se met d’accord, ce n’est jamais sur le contenu de la boîte, c’est toujours dans une dynamique d’activité, une dynamique relationnelle entre des êtres qui parlent du monde.

Page 105 et suivantes : critique peu convaincante d’un réalisme dur, qui serait alors métaphysique. Tout n’est tout de même pas langage.

Page 122. Qu’il est difficile de tenir bon sur cette idée : « La philosophie n’est pas une affaire de doctrine, mais une pratique » (cf. les exercices rituels de Pierre Hadot)

Description minutieuse (au risque de répétitions, ou de circonvolutions) de son parcours intellectuel, de la philosophie balisée des institutions universelles (en l’occurrence celle du langage, ou bien analytique) à des investigations plus personnelles (forme de vie, care, voix, désobéissance civile, séries télévisées), avec une attention grandissante à politiser Wittgenstein : la démocratie comme expression publique de voix singulières : liberté d’expression d’une parole nécessairement propre à un sujet politique, égalité principielle de chaque voix. La démocratie n’est donc pas (pas seulement) affaire d’institutions, de constitution, de cadre juridique ; elle vit au travers de la parole des individus, en tant que celle-ci est orientée vers le souci de l’espace public

Elle reste aux portes du monde du travail (s’en approche tout de même par les problématiques du care, mais sans rentrer dans l’organisation du travail) comme des questions coopératives (intelligence, engagement collectif) trop universitaire, au sens technique du terme ? Trop érudite ? Trop investie dans le commentaire de textes, d’œuvres (même marginales, Austin, Cavell en philosophie, les séries en production culturelle) pour être sensible aux questions de l’agir ?

https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/19374/eloge-de-l-ordinaire

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-heure-bleue/l-heure-bleue-du-lundi-06-decembre-2021-4963705

Le monde extérieur

Maurizio Ferraris, Cerf, 2001

« La tâche n’est pas tellement de voir ce que personne n’a encore vu, mais de penser à ce que personne n’a encore pensé à propos de ce que tout le monde voit. » (Schopenhauer)

Page 91. Critique de Kant : « savoir s’il existe un monde extérieur » est pour lui la même question que « savoir si ce monde est exactement comme je me le représente. » Ferraris s’en prend à la distinction entre noumène et phénomène : où est le rouge, quand je dis « la rose est rouge » ? Seulement dans ma perception, dans mon œil ? Le rouge dans sa matérialité resterait inaccessible ?

Nous ne connaissons (voyons ?) que l’extérieur des choses : si on coupe la pomme de terre en deux, on voit deux morceaux de pommes de terre.

Étonnant, et, disons, bien peu français : c’est pétillant, mais aussi consistant ; très sérieux, mais aussi très ancré dans l’environnement quotidien, jusqu’au clin d’œil. Et pourtant frustrant, parce que plus ébouriffant que coiffant ; de l’ordre de la discussion continuée à voix haute : pas facile de s’y insérer.

Et pourquoi vouloir à ce point (ça semble important, et il y consacre beaucoup de place, de temps et d’énergie) s’en prendre à Kant ? Il a manifestement une préoccupation de vulgarisation, d’accessibilité par l’ancrage dans l’ordinaire, mais il ne va pas jusqu’à raconter son travail, ce qui l’anime, ce qui porte son engagement subjectif.

Bon résumé du problème de Kant : page 153 (à reformuler pour moi !)

Page 170 : distinguer ce qui est (et alors du ressort de l’ontologie) de ce que l’on perçoit (étudié par l’épistémologie)

À force de multiplier les exemples évidents, banals parce que relevant de la vie quotidienne, on comprend encore moins l’objet de son discours, avec qui il polémique, qui et de quoi il veut persuader. Il me semble que ma distinction réalité/réel me suffit, que son combat est alors d’arrière-garde.

Quelle est ma définition de concept ? Un mot organisateur d’un discours, ce serait déjà pas mal ; un point d’appui pour parler, élaborer avec autrui. Parler de quelque chose, bien sûr, comme n’importe quel mot.

Critique de l’empirisme : l’œil ne voit pas toujours clair, se laisse berner par des illusions d’optique (le bâton brisé dans l’eau, le mouvement du soleil), et pas mieux pour l’ouïe, qui n’entend pas tout, plus que tout quand on hallucine.

Résumé de son approche, page 302 et suivantes

Le problème ontologie/épistémologie rapporté à la distinction voir/penser : peut-on voir sans penser ? Penser sans avoir vu ? Questions profondes ou bien bébêtes ? Au moins, reformuler de façon ouverte : comment, ou quand voir sans penser ? Comment, ou quand, penser sans avoir vu ?

Sa postface en dit long : ce qui le préoccupe est de se situer dans sa relation filiale à Derrida, dont il partage le jeu de langage et la forme de vie, de colloques en publication savante à dédicacer.

https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/19889/Le-monde-exterieur

https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/12/23/le-monde-exterieur-de-maurizio-ferraris-la-realite-sensible-fait-trembler-la-philosophie_6155553_3260.html

https://www.philomag.com/articles/maurizio-ferraris-limbecile-que-donc-je-suis?check_logged_in=1