Nicolas Gilsoul, Fayard, 2023.
Étiquette : Fayard
L’Europe dans sa première croissance – De Charlemagne à l’an Mil
Pierre Toubert. Fayard, 2004.
Photocopies
Page 92 : « Des besoins nouveaux, et donc de nouvelles exigences se sont alors faites jour dans le monde seigneurial, que la paysannerie dépendante a été en état de satisfaire grâce à sa participation au plus bas niveau de l’économie d’échange. » Formidable enchainement d’euphémisme pour décrire l’exploitation du travail !
Tout le livre est un très bel exemple d’histoire prétention objective (c’est bien ce qui s’est déroulé) par ce qu’elle décrit le monde du point de vue des dominants (un monde en croissance, « en rationalisation », c’est-à-dire, dit autrement, engagé dans un développement tiré par le parasitisme de l’élite seigneuriale, qui parvient à contrôler à son service à la fois le travail paysan [les manses] et le milieu naturel [les essartages]).
Page 93 : « la construction des moulins de brasserie a connu dès le XIXe siècle un démarrage contemporain d’une rationalisation des structures domaniales. »
Page 94 : du rôle social des moulins dans l’organisation du travail, et alors la coopération/exploitation sociale.
Page 97 : « Le mouvement général de diffusion de la Mansus-Ordnung en Occident à partir du IXe siècle marque une étape décisive de maturation du régime domaniale. Il traduit, certes, un effort d’encadrement et de contrôle social plus strict (là, l’auteur réprouve) de la paysannerie par la classe seigneuriale. Mais cet effort ne doit pas nous dissimuler un souci parallèle d’optimisation économique de la rentabilité globale du grand domaine. » (Ça, c’est bien)
Page 108. « Au-delà d’une prétendue “loi de fonctionnement du régime domanial” cher à W. Sombart, en vertu de laquelle la production de la curtis n’aurait été ordonnée qu’aux fins de couverture de ses besoins propres, le grand domaine a assumé, pour la production artisanale domestique comme pour la production agricole, une fonction générale de concentration des surplus dégagés par le travail diversifié de dépendants paysans de plus en plus nombreux à œuvrer dans le cadre de la petite exploitation héréditaire. » Avec une limite tout de même : ses terrains d’observation sont quand même limités et peut-être spécifiques (vallée de la Meuse, Bassin parisien, Italie du Nord).
Un livre érudit, d’experts à expert, mais qui s’assume comme tel, de façon remarquablement bien tenue.
Forcément un effet déformant (ici, conscient et maitrisé) des sources écrites : ce sont celles des monastères, avant tout !
L’Homme, une espèce déboussolée – anthropologie générale à l’âge de l’écologie
François Flahault, Fayard, 2018
À quoi mesurer l’excès de prétention ? Le décalage entre l’ambition annoncée, au risque du ridicule, et la qualité de la production intellectuelle ? (Mais comment mesurer une telle qualité ? En racontant le travail de l’auteur ?) Quels sont les indices qui me font repérer toutes les limites de l’intérêt d’un tel livre ? Indices externes : l’éditeur (pas trop dans le créneau universitaire), le préfacier (pas trop dans mes références, neuropsychologue), l’écho (faible) obtenu dans la presse. Indices internes : l’aplomb, jusqu’à l’arrogance, de celui qui a tout compris ce que personne n’avait compris avant lui, qui délivre ses lumières universelles, fort de ses études, de son érudition ; des contradictions internes (là, c’est plus compliqué) :
- la prétention à aller jusqu’au bout du matérialisme, tout en prétendant renouveler la conception commune de « l’Homme » par la force seule d’un seul le livre, par la puissance (forcément limitée, quoi qu’il dise) du raisonnement de son auteur ;
- l’abus du langage, c’est-à-dire le manque de rigueur dans l’emploi des mots (sous prétexte de vulgariser, j’imagine, puisqu’il s’agit de renouveler la conception ordinaire de l’homme du social, d’atteindre le quidam). Page 31 : « le cerveau de l’Homo sapiens n’est pas seulement une partie de son corps : c’est une éponge imprégnée de son milieu de vie. Le cerveau de l’Homo sapiens se construit et acquiert ses capacités en étant, en quelque sorte, colonisé par son milieu de vie – mais ce processus n’est pas subi par le cerveau : celui-ci y participe très activement. »
- L’abus de langage, au sens de la logorrhée : enchainer les idées, les citations, les affirmations, du coq à l’âme, sans jamais prendre le temps de les discuter vraiment.
- Sous prétexte d’accessibilité, conjuguer simplisme (opposé de « paradigme ») et complexité (en multipliant les références).
Page 39. « Peut-on dire que « il n’y a pas de nature humaine » ? Oui, si l’on admet par là qu’il n’y a pas eu naissance de l’homme (sans H !) faisant de lui un être bon ou méchant, égoïste ou altruiste par nature. Non, si l’on veut dire que l’homme a le pouvoir prométhéen de se faire lui-même. Car il y a bien une nature humaine au sens où l’homme existe nécessairement dans et par un milieu de vie (à commencer par son propre corps). » De quoi vacciner contre l’arrogance intellectuelle ? Elle m’apparait ici crument : peut-être s’en méfier dans d’autres cas ? Écouter ce qui se dit, le plus sérieusement possible, pour ne pas se laisser emporter par le propos. Un critère : ce qui me stimule, me fait cogiter, m’envoie sur de nouveaux chemins, des concepts que je peux m’approprier ; ce qui me fait réagir, me braque, me déplait.