Wittgenstein. Philosophie, logique, thérapeuthique

Grahame Lock, PUF, 1992

https://www.puf.com/wittgenstein-philosophie-logique-therapeutique

https://www.cairn.info/wittgenstein-philosophie-logique-therapeutique–9782130443087.htm

L’idée fondamentale du Tractatus

Ce premier livre est bien une fin : tout l’effort consiste à solder l’héritage de Frege et de Russell, donc en poursuivant, même pour y mettre un terme, leur conversation à propos de la logique, leur tentative de la fonder de façon définitive. Il faut bien commencer par discuter des thèses en cours, prendre la conversation de travail là où elle en est, même dans l’idée d’en dévier le cours. On élabore toujours à partir du patrimoine, y compris dans l’approche consistant à poser des définitions pour tenter d’imposer sa conception de ce qui est clair et de ce qui ne l’est pas.

L’argument essentiel du Tractatus selon Lock : « les constantes logiques ne sont des représentants de rien. » (4.0132) ce que j’essaie de reformuler : il n’y a pas de référent extérieur au langage pour des formulations logiques, rien dans l’ordre d’une réalité à mettre derrière des formulations comme « c’est évident » ou « c’est intuitif ». La logique est entièrement interne au langage (aux signes utilisés par les humains). Même chose pour les affirmations mathématiques, axiomes ou théorèmes.

Que faire (que fais-je ?) des questions et considérations de techniques philosophiques, dont je ne comprends pas grand-chose, sur le moment, et encore moins en essayant d’en parler ? Serait-il possible, mais alors pourquoi personne ne le fait, de résumer la démarche de Wittgenstein de façon succincte, ramassée, comme on est capable de synthétiser une démonstration mathématique ou une thèse scientifique ? Je m’y essaie : Wittgenstein s’en prend à toute substantivation de termes comme « je », la conscience, la sensation, à toute assimilation d’un mot à une chose. Cette formule en soi est significative : je ne peux qu’écrire « pomme », jamais croquer une pomme telle que je l’écris. Même « la preuve du pudding, c’est qu’on le mange » a un rapport distancié au réel : quel pudding ? Qui le mange ? Qu’est-ce que manger ? On ne peut pas sortir du langage par le langage. Je n’est jamais moi, le moi n’est jamais celui qui parle, et je peux continuer longtemps ainsi sans, par définition, sortir du langage.

Dans sa première période, Wittgenstein se confronte aux questions logiques plus que philosophiques : comment parler de façon sensée du monde, comment tenir un discours cohérent comme peut l’être un enchainement de propositions mathématiques consistant, irréfutable ?

Page 93. Bascule vers la deuxième période : Plutôt que « forme générale de propositions », tableaux, etc., raisonner par famille de structures. « Une proposition » ne désigne jamais tout à fait la même chose, est toujours circonstanciée.

Malgré son volume, sa souplesse et sa complexité, le langage humain n’est finalement qu’un tout petit nombre de mots, de règles de grammaire, pour embarquer tout un monde de choses et de phénomènes en constant changement. Même en notre ère de standardisation industrielle, aucune pomme n’est similaire à une autre, même pas à elle-même au cours du temps, même seulement le temps qu’on en parle.

Exister, résister – Ce qui dépend de nous

Pascal Chabot, PUF, 2017.

Photocopies

https://www.emilemagazine.fr/article/2023/12/18/pascal-chabot-sengager-cest-refuser-la-posture-du-spectateur

https://www.philomag.com/livres/exister-resister

D’emblée : qui est le « nous » du titre ? Ou encore, la deuxième page de l’introduction, « l’individu », celui qui, « saturé de savoirs et de possible, demande plutôt du sens ». Ça saute pourtant aux yeux, mais c’est un angle mort du livre. Étonnant alors qu’il y est tant question du soi, du mois, de l’identité. Est-ce bien raisonnable de poser tant de généralités sur ces questions, sans interroger « d’où je parle » ? Le propos est bien ancré dans les contingences de l’époque, mais en fait surtout des obsessions de l’auteur (la technique, le numérique, l’argent). Ne serait-ce que pour cette raison, le propos peut se lire comme un long bavardage, en monologue, un enchainement logomachique de raisonnements à la connexion lointaine et toujours discutable avec la réalité. Un critère de lecture : prendre une assertion au hasard, soutenir le contraire, et aviser. Ou même, bien souvent, plus ou moins fréquemment selon le degré de connivence du lecteur : se gratter la tête.

Autre mystère : le déni de la catastrophe en cours (toujours à venir), l’aveuglement du mur de la Panne à l’horizon. Comme si le numérique, l’argent et les émotions (les trois « supers forces » qu’il identifie) étaient des invariants anthropologiques. Comme si tout cela n’allait pas laisser place, quels que soient les commentaires des philosophes.

Curieuse invocation finale de la raison salvatrice, alors qu’il se satisfait d’un usage esthétique du langage (donc ne produit que du non-sens, au sens de Wittgenstein)

Et finalement : et alors ? Que fait-on maintenant ? En quoi ce livre me faire réagir, agir, au moins penser différemment ? Et les autres lecteurs, et tous les autres, non-lecteurs ?

Les dernières années de Karl Marx – Une biographie intellectuelle 1881-1883

Marcello Musto, 2016. PUF, 2023.

https://www.puf.com/content/Les_derni%C3%A8res_ann%C3%A9es_de_Karl_Marx

Est-il possible, sommes-nous capables, suis-je capable de lire le Manifeste, le Capital, ou encore une lettre de Marx à Engels 2881 comme ont pu le lire des lecteurs contemporains ? Et puis quel lecteur, dans sa singularité ? Double impossibilité : lire avec la culture politique et philosophique de l’époque, celle d’un quidam qui se retrouve avec un texte d’un jeune (puis vieux) Allemand plus ou moins philosophe, économiste, politique ; lire sans la représentation (au sens ce cognitif) du Marx des marxistes en tout genre. Ou bien double épreuve, salutaire ?

Ça interroge la position de Marx lui-même : à quoi bon tant de textes, privés ou publics, théoriques ou militants, si « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » ? cf. Rancière. Et qu’est-ce que on/je attends en lisant Marx ou un épigone/historien un siècle plus tard ?

Ce qu’on raconte et ce qu’on ne raconte pas dans une biographie (faute de sources, peut-être, mais ce pourrait tout de même être mentionné) : certes, il est hôte enjoué des relations de passage, grand-père attentionné de ses petits-enfants ; mais qui passe le balai à la maison, qui fait les courses et se soucie des repas, qui s’occupe du linge ? Il est touchant de prendre la mesure d’un homme passionné par les idées, assoiffé de connaissances, débatteur enjoué de toutes les questions de son temps. Mais il me donne aussi l’impression d’un type envahissant, débordant d’énergie, un peu insupportable… Façon Lénine ?

Page 95. Rédaction d’une enquête ouvrière en 1880, distribuée à 25 000 exemplaires en France : révélateur d’une certaine conception du travail, finalement très contemporaine…

« Travail intellectuel » autour du « Capital » (quel titre !) : Névrotique ? Pourquoi aucun biographe ne se demande s’il n’y avait pas mieux à faire ?

Page 193 : curieuse passion de Marx pour les mathématiques (même en passe-temps), en tant que langage scientifique par excellence (témoignage de Lafargue).

Aux origines féminines de la sexualité

Jacques André, PUF Quadrige, 1995.

https://www.cairn.info/aux-origines-feminines-de-la-sexualite–9782130544173.htm

Page 8. L’amour hétérosexuel ne va pas de soi du fait du caractère pulsionnel (contingence de l’objet, des zones érogènes comme des objets investis par la pulsion) et non instinctuel à (l’instinct renvoyant à la finalité procréatrice) : d’où la psychosexualité, qui déborde l’opposition entre la femme et l’homme (et qui permet par exemple à un psychanalyste d’un sexe d’écouter l’autre).

Page neuf. « La dynamique narcissique est dans l’amour ce qui travaille à refermer des brèches ouvertes par l’irruption de l’irréductible altérité. » (L’autre, l’autre corps, l’autre sujet)

Page 13. « Celui dont les lèvres se taisent bavarde du bout des doigts. »

Page 17. Le père de Dora est séducteur du seul fait d’aimer sa fille ; et non d’abuser d’elle ?

Page 59. « Il est peu vraisemblable qu’une théorie de la sexualité échappe totalement à l’attraction des théories sexuelles inconscientes de son auteur. » (Nathalie Zaltzman)

Il le discute avant tout de la théorie (des théories, des convictions théoriques, des assertions à la fois définitives et incertaines, figées et labiles) de Freud, pour en montrer les fragilités et les indécisions, plutôt qu’il en affirme une autre. Mais ne suffit-il pas de pointer l’importance de ces phénomènes ? Fantasme de la pénétration de l’autre ou de soi, anale ou vaginale, du viol ou de la castration, de l’amour ou du rejet, de soi ou de l’autre : tout ça est bien là, dans des configurations toujours changeantes, selon les individus et les contextes sociaux.

Page 65. Freud et le primat du phallus, c’est comme l’homme qui cherche ses clés sous le réverbère.

Page 117. Anatomie et fantasme (biologique, physiologique et imaginaire)

Page 122. Définition de la « passivité pulsionnelle » : jouir de ce qui (vous) arrive.

Page 123. Du masochisme : du plaisir à avoir mal.

Beaucoup de ses considérations tournent autour (!) de l’opposition fondamentale intérieur/extérieur, et alors ce qui pénètre, et ce que produit la pénétration. Opposition constitutive d’un être : ce qui délimite ce qui me pénètre/ce que je fais sortir (et on retrouve aussi passivité/activité). Ceci dès le souffle : aspirer/expirer. Boulimie/constipation. L’estomac cavité comme le vagin. Même la voix sort de la bouche, celle d’autrui rentre par l’oreille.

Un angle mort, me semble-t-il : les seins, protubérances féminines, qui émettent le lait nourricier. Ça vaut bien le phallus, et alors plus que deux mentions au détour d’un raisonnement.

Psyché anarchiste – Débattre avec Nathalie Zaltzman

PUF, 2011.

https://www.puf.com/content/Psych%C3%A9_anarchiste

Compilation de textes d’orientation psychanalytique beaucoup plus que politique. Elle définit la « pulsion anarchiste » en contrepoint de la « pulsion de mort », pour faire un peu plus sophistiqué que « pulsion vitale », pour aller voir aussi du côté des expériences limites.

Il y a vraiment beaucoup à comprendre dans le discours rabattant l’humanité sur une compétition avec les machines douées « d’intelligence artificielle ». Ça en dit très long sur le degré de mécanisation, d’administratisation (ça mérite bien un néologisme, et bureaucratisation me semble un peu court) de notre société.