Livia Scheller, La Dispute, 2022.
Le titre de couverture de ce livre est à la fois séduisant et ambitieux. le sous-titre qui figure en intérieur en précise le champ : « Histoires de travail et cliniques de l’activité ». L’autrice est psychologue du travail au CNAM, dans l’équipe d’Yves Clot, et tout son propos s’appuie dans cet engagement professionnel. Elle présente trois interventions d’ampleur auxquelles elle a participé, à l’usine Renault de Flins, dans une structure syndicale, ainsi que dans un bureau de poste ; elle appuie sa réflexion sur des auteurs de référence pour ce courant des cliniques du travail, Lev Vygotski et Gilbert Simondon en particulier.
À partir de cette expérience professionnelle, elle tient l’objectif de réfléchir de façon précise aux relations entre un individu au travail et le collectif dans lequel il s’intègre. Un individu n’est pas une entité indépendante qui s’opposerait à autre chose, un collectif. Certes, c’est sur cette conception que repose le contrat de travail salarié : une personne qui choisit de s’engager contractuellement auprès d’un collectif institué, employeur. Quand on écoute et observe les individus au travail, individuellement et collectivement, on mesure des interactions bien plus complexes : l’individu qui se construit au travers de son activité avec autrui, le collectif qui se transforme lorsque les individus qui le composent ont la latitude d’agir sur lui. Une dynamique qui nous concerne au plus haut point, agissant dans une coopérative.
Si ce livre peut nous intéresser, c’est aussi par son souci de relier les considérations théoriques avec des « histoires de travail », récits d’intervention. Comment les uns peuvent-ils éclairer, outiller les autres ? L’autrice expose les tenants et les aboutissants des trois interventions, reproduit en particulier des extraits assez longs d’entretiens avec les professionnels. On peut regretter que le souci d’expliquer prenne trop vite le pas sur la narration des évènements, ne laissant pas au lecteur la place d’apprécier la complexité des situations, de se faire une opinion, d’explorer par lui-même le champ des possibles. Il est toujours un peu dommage de réduire les situations évoquées à des faits venant à l’appui d’une thèse.
Autre regret : alors que l’autrice a le souci de raconter dans l’introduction son parcours professionnel, sa découverte du travail de l’équipe du CNAM, elle disparait ensuite pour l’essentiel du livre, peut-être trop soucieuse d’un propos recherchant l’argumentation générale, la démonstration théorique. Il aurait intéressant qu’elle s’expose davantage dans son propre travail : ce que ça fait à un psychologue de se mêler du travail des autres, de s’alimenter du travail des autres pour élaborer des concepts, en produire des livres ?
Une dernière question, en ouverture. Les interventions évoquées fouillent avant tout les modalités d’effectuation du travail : comment bien faire ce qu’on a à faire ? « C’est en reprenant la main sur les manières de réaliser son activité de travail que peut naitre ou renaitre le sentiment de pouvoir faire son travail comme il faut, de remettre de la vie dans l’activité commandée, de mobiliser de façon active l’affectivité nécessaire pour investir son métier. » (Page 173) elle précise ensuite : « Toutes les activités sont concernées : activités de conception, d’organisation, de gestion, d’exécution. » Mais ne faut-il pas également interroger le contenu même de l’activité ? Peut-on se réaliser pleinement en tant qu’être humain actif, avec la même intensité, à ajuster des portières sur une chaine de montage, à distribuer du courrier, organiser le travail d’équipe sur une ligne, à piloter une usine, à participer à une enquête sur les conditions de travail ? Reprendre la main sur son activité, ne serait-ce pas aussi sur son contenu ?
La force collective de l’individu