Tout doit disparaitre – Lettres d’un monde qui s’efface

Annabelle Perrin, François de Monès, Seuil, 2023.

La disparition des croisières (Annabelle Perrin, François de Monès)

La disparition de la grève (Julien Brygo) : à propos d’un bâtiment démoli, symbole de l’autogestion des dockers de Dunkerque

La disparition des arbres à Lagos (Sophie Bouillon) : terrifiant portrait de la mégapole nigériane

La disparition du terrain de foot de Montcabrier (Emmanuel Riondé) : du fait du chantier de l’A69

La disparition des pépins (Iman Ahmed) : histoire de pastèques

La disparition de la honte (Laury Caplat) : le droit à l’avortement au-delà du juridique, dans sa réalité sociale et médicale

La disparition de la maladie du sommeil (Adrien Absolu) : des recherches scientifiques en terres coloniales

La disparition du cash (Anne-Dominique Correa) : dans de petites villes d’Angleterre privée de DAB (ATM)

La disparition d’un passeport (Mohamed Mbougar Sarr) : de longues heures dans la « zone d’attente pour personnes en instance » de l’aéroport de Mexico.

https://www.seuil.com/ouvrage/tout-doit-disparaitre-collectif/9782021525915

https://www.philomag.com/livres/tout-doit-disparaitre-lettres-dun-monde-qui-sefface

Depuis toujours nous aimons les dimanches

Lydie Salvayre, Seuil, 2024.

https://www.seuil.com/ouvrage/depuis-toujours-nous-aimons-les-dimanches-lydie-salvayre/9782021554557

Si j’en ai l’occasion, je demanderais volontiers à Lydie Salvayre quand elle a écrit ce livre : le dimanche, ou un autre jour de la semaine ? Je serai aussi curieux de l’entendre sur les efforts qu’il lui a demandés. À la lecture de ce texte pétaradant, j’ai ressenti une joie communicative à raconter les plaisirs langoureux du temps libre, des loisirs, à régler leur compte à tous les tristes sires hérauts du travail contraint, rentable, performant. Les mots coulaient-ils de source sous sa plume, ou bien a-t-il fallu aller les chercher par le col, mille fois remettre l’ouvrage sur le métier ? En tout cas, c’est un formidable travail d’écriture ! De belles pages sur « la paresse comme un art subtil, discret et bienfaisant », de vives critiques sur le travail contemporain à la sauce managériale, de fortes envolées politiques pour montrer tout le bien que la promotion de la paresse ferait à la Terre comme à l’humanité, de roboratifs exposés bien troussés de quelques penseurs qui l’ont précédée dans cette noble cause : Sénèque, Pascal, Charles Fourier, Paul Lafargue bien sûr, et puis Nietzsche ou Guy Debord à la rescousse ! C’est consistant, sérieux, mais aussi pétillant de quelques « blagounettes » proposées malicieusement aux promoteurs du dur labeur.

La lecture est portée par le choix narratif de recourir à un « nous » un peu mystérieux : on se demande bien qui est cette bande de bons copains (un peu à la Jules Romains), qui se pose comme narrateur, explique recourir à la plume de leur amie « Salvayre » pour pimenter leurs textes. On aimerait intégrer l’équipe ! Peut-être un embryon de parti politique ? Par contre, on voit bien qui sont les narrataires, explicitement désignés : les « apologistes-du-travail-des-autres ». Là, je m’interroge quant à la pertinence de développer longuement une argumentation, si pertinente soit-elle, à leur attention. N’est-ce pas quelque peu peine perdue que d’espérer les convaincre de quoi que ce soit ? Ne vaut-il pas mieux prôner une superbe ignorance à leur égard, et alors toutes les formes possibles de dérobade à leurs prêchiprêchas et leurs manigances ?

L’ouvrage échappe aux catégorisations : ce n’est pas un récit, pas un essai, encore moins une thèse, il n’est pas assez sérieux pour être un pamphlet, trop ambitieux pour n’être qu’un petit livre de métro. Il donne de quoi moudre si l’on veut élaborer davantage sur ce qu’on appelle travail, contrainte, loisir, divertissement. L’autrice décrit longuement, avec gourmandise, les mille-et-une façons de vivre (et pas seulement d’occuper) les dimanches, de jouir du temps libre, avec cet horizon : en faire des temps pour penser. Je le prends comme une belle invitation : comment investir les autres jours de la semaine, et alors le travail, avec un tel esprit de liberté, de partage ?

Patrice Bride

La traversée des catastrophes. Philosophie pour le meilleur et pour le pire

Pierre Zaoui, Seuil, 2010.

https://www.seuil.com/ouvrage/la-traversee-des-catastrophes-pierre-zaoui/9782021029833

https://www.philomag.com/articles/pierre-zaoui-comment-ca-va-avec-la-catastrophe

https://www.lemonde.fr/livres/article/2010/10/28/la-traversee-des-catastrophes-philosophie-pour-le-meilleur-et-pour-le-pire-de-pierre-zaoui_1432208_3260.html

L’accroche est intéressante, et d’ailleurs le premier chapitre : au nom de quoi distinguer ce qui mérite des développements conceptuels de philosophes de ce qui relève de la vie ordinaire, voire de la vulgarité ?

Je n’y ai pas trouvé mon compte par la suite. Il me semble qu’il n’évite pas les considérations morales trop générales, assez loin d’une « philosophie de terrain » telle qu’annoncée ou envisagée.

Karl Marx, penseur de l’écologie

Henri Peña-Ruiz, Seuil, 2018.

https://www.seuil.com/ouvrage/karl-marx-penseur-de-l-ecologie-henri-pena-ruiz/9782021135800

Page 152. « Le but constant et la tendance de tout perfectionnement dans le mécanisme sont de se passer entièrement du travail de l’homme ou d’en diminuer le prix. » (Marx, « discours sur le libre-échange » dans Misère de la philosophie).

Page 153. « Le progrès technique peut se faire régression écologique et humaine du fait de son appropriation capitaliste » (HPR)… Et donc non en soi. « Le moyen le plus puissant pour raccourcir le temps de travail » : c’est bien un but en soi.

Page 154. Il limite l’écologie à la « préservation de la nature » sans réfléchir du tout à quelque chose comme des « forces productives durables », une interaction « homme/nature » (pour parler comme Marx lui-même) qui ne soit pas délétère.

Page 158. Il y vient tout de même, mais à propos de l’agriculture (et alors sans suite). Comparaison entre la fertilité du sol et le travail humain : discutable ? Épuiser une terre n’est pas épuiser un homme (abus de métaphore ?).

Page 208. « Revoir l’opposition ville/campagne » : d’un coup, on sort du mouvement dialectique nécessaire, pour envisager ou revendiquer « des mesures tendant à faire graduellement disparaitre la distinction ville/campagne ». Prises par qui ? Portées par quelle force sociale ? Dans quel contexte de développement des forces productives ? Des impensés majeurs !

Page 240. Apologie de la maitrise (Descartes).

La faiblesse de l’élaboration conceptuelle (travail, nécessité vs liberté, progrès, État, etc.) compensée par une certaine faconde tarte à la crème, dans l’air du temps, dans une facilité séductrice plus qu’une exigence intellectuelle. Nettement moins précis et pertinent que Audier ou Gillibert.

https://reporterre.net/Marx-etait-ecolo-Enfin-un-peu
https://reporterre.net/Marx-etait-ecolo-Enfin-un-peu

https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2012-2-page-121.htm