Critique populaire de l’exploitation – Ce que devient le travail

Nicolas Latteur, Le Bord de l’eau, 2023.

https://www.education-populaire.fr/critique-populaire-de-lexploitation/

https://www.cepag.be/actualites/2023/10/20/critique-populaire-exploitation-ce-que-devient-travail-nouvel-ouvrage-nicolas

Nicolas Latteur, sociologue, a assuré un travail considérable de collecte de paroles de salariés sur leur activité, dans tout secteur professionnel, tout niveau de responsabilité. Il s’appuie sur leurs propos pour brosser un panorama complet et structuré du monde du travail salarié, en Belgique et en France. C’est une mine extraordinaire pour trouver des évocations de situations concrètes sur des thèmes aussi variés que le télétravail, les différentes facettes du management contemporain, la précarité, les services publics sous-tension du fait des logiques gestionnaires.

Cette démarche résonne bien sûr fortement avec la nôtre, à Dire Le Travail. Quelques différences majeures tout de même, pour mieux comprendre ce que nous faisons les uns et les autres :

  • Les entretiens sont clairement axés sur ce qu’annonce le titre : les salariés sont d’abord des exploités, et c’est la critique de cette condition sociale que vise le livre. Indiscutablement, il y a de quoi faire dans ce registre, et alors de quoi broyer du noir sur l’état du monde du travail actuel ! À se demander ce qui fait tenir, à la fois les personnes à leur travail, et les institutions gangrenées par ces pratiques de management toxique. Mais comment dénoncer l’exploitation sans réduire ceux qui la subissent à l’état de victime ?
  • C’est surtout à propos de leurs conditions de travail que les interlocuteurs du sociologue s’expriment, plutôt que sur leur activité : ils exposent ce qu’ils ont à faire et, le plus souvent, tout ce qui les empêche de le faire, plutôt que ce qu’ils font effectivement. Là aussi, il y a beaucoup à dire, certes, et souvent à dénoncer, des mauvaises conditions qui abiment le travail, mal organisé, mal rémunéré, sous pression. Mais c’est toute l’ambivalence du travail : si on s’en sort, malgré tout, c’est par ce qu’on met de soi, individuellement, collectivement, pour faire avec les contraintes, avec les imprévus. Le travail, tant qu’il se fait, n’est jamais que galère et corvée, il est aussi inextricablement, et pas seulement potentiellement, source d’épanouissement et d’émancipation. Cela aussi mérite d’être dit.
  • L’auteur garde la main sur le texte : les témoignages, transcription directe des propos, sont morcelés, enchâssés dans un écrit de sa plume, et finalement réduits au statut d’illustrations à l’appui d’un exposé explicatif.

Logiquement, l’auteur en arrive à un appel à un renouveau de luttes syndicales, susceptibles de peser sur les politiques sociales et patronales. Sans nier l’importance de ces combats, on peut s’interroger sur le recours à une solution extérieure pour agir sur le contenu même du travail. C’est le paradoxe des grèves (arrêter le travail qu’il s’agirait de transformer) et des manifestations (sortir des lieux de travail qu’il s’agirait de s’approprier), et également des discours experts, intellectuels en commentaires des paroles ouvrières.

En regard de cette approche, comment formuler la nôtre ? On pourrait dire : contribuer à ce que celles et ceux qui font le travail parviennent à davantage en maitriser le contenu, ce qui passe par la capacité à parler, individuellement et collectivement, de tout ce qu’on fait déjà et tout ce qu’il y aurait à faire pour vivre mieux, ensemble, dans le monde.

La mémoire délavée

Nathacha Appanah, Mercure de France, 2023.

Les promesses littéraires du premier chapitre (les vols d’étourneaux) ne se confirment pas, à mon gout, au fil des pages. Je n’ai pas à réussi à entrer dans son monde de souvenirs : exposé trop platement ? les traits de construction (je dis comment j’écris, l’auteure écrasant alors quelque peu la narratrice) trop saillants ?

https://www.mercuredefrance.fr/web/index.php/la-memoire-delavee/9782715260269

https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/09/03/nathacha-appanah-l-enfance-a-fleur-de-peau_6187635_3260.html

Tout doit disparaitre – Lettres d’un monde qui s’efface

Annabelle Perrin, François de Monès, Seuil, 2023.

La disparition des croisières (Annabelle Perrin, François de Monès)

La disparition de la grève (Julien Brygo) : à propos d’un bâtiment démoli, symbole de l’autogestion des dockers de Dunkerque

La disparition des arbres à Lagos (Sophie Bouillon) : terrifiant portrait de la mégapole nigériane

La disparition du terrain de foot de Montcabrier (Emmanuel Riondé) : du fait du chantier de l’A69

La disparition des pépins (Iman Ahmed) : histoire de pastèques

La disparition de la honte (Laury Caplat) : le droit à l’avortement au-delà du juridique, dans sa réalité sociale et médicale

La disparition de la maladie du sommeil (Adrien Absolu) : des recherches scientifiques en terres coloniales

La disparition du cash (Anne-Dominique Correa) : dans de petites villes d’Angleterre privée de DAB (ATM)

La disparition d’un passeport (Mohamed Mbougar Sarr) : de longues heures dans la « zone d’attente pour personnes en instance » de l’aéroport de Mexico.

https://www.seuil.com/ouvrage/tout-doit-disparaitre-collectif/9782021525915

https://www.philomag.com/livres/tout-doit-disparaitre-lettres-dun-monde-qui-sefface

Scions… travaillait autrement

Michel Lulek, éditions Repas, 2009.

https://editionsrepas.fr/catalogue/scions-travaillait-autrement

https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/06/29/p-dans-la-creuse-une-menuiserie-suit-avec-succes-des-voies-alternatives-p_4303064_1819218.html

Ce qui fonctionne :

  • une histoire collective, entremêlée d’évocations de parcours individuels ;
  • une histoire cahotante, qui se fait à tâtons, au gré des rencontres, de la confrontation à mille contraintes inattendus (scier ou raboter ? Vendre en grande surface de bricolage, ou en direct ?)

Ce qui pourrait être mieux :

  • Avoir de vrais personnages, et donc un récit vraiment polyphonique, ce qui serait bien le moins pour l’histoire d’une coopérative. Le narrateur abuse de l’emploi du nous, forcément suspect, même si on imagine que eux, les autres, ont relu. Michel Lulek a peut-être le même rapport compliqué que moi au rôle de fondateur, du patron. On percevrait mieux les bifurcations si le récit descendait à l’échelle des protagonistes.
  • De vraie scène, au sein de l’équipe, à l’extérieur, pour montrer des rencontres, des débats, faire découvrir les lieux.
  • Des épisodes, des récurrences : de quoi se familiariser, apprivoiser le décor et des personnes, assimiler les idiosyncrasies de ce collectif ; et puis jouer aussi des ruptures, des surprises, donc des tensions entre configurations convergentes et divergentes (ce qu’on croit comprendre/ce qui n’est pas ce qu’on croit).