Nicolas Framont, Les liens qui libèrent, 2024.
Catégorie : Travail
Se tenir debout. Un siècle de luttes contre les souffrances au travail
Rémy Ponge, La Dispute, 2023.
Sortir des forêts
Pascal Commère, Le Temps qu’il fait, 2025.
https://www.sitaudis.fr/Parutions/pascal-commere-sortir-des-forets-1737530792.php
Quand la naissance s’invite au travail
Shah-dia Rayan, Hélène Causse, Marie Dorge, Céline Pochon, 2020
Sorcières, sages-femmes et infirmières – Une histoire des femmes soignantes
Barbara Ehrenreich, Deirdre English, Cambourakis, 2016.
https://www.editions-rm.ca/livre/sorcieres-sages-femmes-et-infirmieres
Les domesticités
Idées reçues sur le travail – emploi, activité, organisation
Dirigé par Marie-Anne Dujarier, Le Cavalier Bleu, 2023.
Idées reçues sur le travail
https://www.cairn.info/idees-recues-sur-le-travail–9791031805818.htm
S’il y a bien un thème qui concentre nombre d’idées reçues méritant d’être démontées, c’est bien le travail. Et ce livre aborde le chantier d’excellente façon : il est bien précisé dès le sous-titre de l’ouvrage, en couverture, que « le travail » en question ne se réduit pas à « l’emploi » (et le « Code du travail », repris par l’illustration de couverture, serait alors plus correctement intitulé « code de l’emploi salarié »), qu’y seront également abordées des questions d’activité et d’organisation. Ces trois entrées sont bien équilibrées dans la table des matières, avec pour chacune une petite dizaine « d’idées reçues » traitées au fil des pages, depuis « Les étrangers prennent le travail des Français » jusqu’à « La concurrence au travail est naturelle et bénéficie à tous » en passant par « Une femme au foyer ne travaille pas ».
Deuxième mise au point bienvenue : l’étymologie de « travail » n’a rien à voir avec « tripalium », tarte à la crème des auteurs convaincus que le travail est fondamentalement corvée, et que moins on travaille, mieux on se porte. Comme le dit Dominique Lhuillier, « En somme, la tâche dans l’emploi peut “exposer” les travailleurs à des contraintes, des risques délétères, mortifères, voire mortels ; pourtant c’est dans l’activité que se construit la santé, mais à condition que l’organisation des tâches et que les conditions d’emploi n’empêchent pas le geste et la vie professionnelle en santé. »
Chaque entrée est traitée avec un effort d’objectivation, avec renvoi à des éléments factuels, en particulier des repères statistiques. L’argumentation est nuancée, explicite, sans s’interdire en conclusion une position claire, en réfutation ou éventuellement en décalage de l’affirmation. Par exemple à propos de « Les pénibilités physiques au travail, c’est du passé » : « Si finalement le progrès technologique parvient à épargner des efforts aux femmes et aux hommes au travail, c’est rarement son objectif premier. Cela passe après l’optimisation du rendement, l’accélération de la production. Ces évolutions sont ambivalentes et conditionnelles. »
Bien sûr, l’ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité. Les affirmations sélectionnées (et les auteur·es) se situent surtout dans une approche sociologique, au point de ne pas toujours tenir la promesse de bien distinguer emploi et travail. Ainsi Antonio Casilli à propos de « Les robots vont bientôt remplacer les travailleurs » : il documente la question du point de vue de l’impact sur le nombre d’emplois, sans traiter celle de la différence dans la nature des tâches effectuées par une machine, robot ou prétendue « intelligence artificielle », ou un humain. Si un opus 2 est envisagé, on pourrait imaginer quelques propositions davantage dans le champ clinique, explorant des questions de motivation, de compétence, de reconnaissance, de spécificité du travail humain. Quelques suggestions : « On ne travaille pas bien si on n’aime pas ce qu’on fait », « Le bon travail, c’est une affaire de talent », « S’il n’y a pas l’argent au bout, les gens ne fichent rien », « Avec un peu de volonté, on soulève des montagnes ».
Autre regret : la note liminaire sur la polysémie du terme « travail » propose trois champs de signification, et on peut penser que le deuxième qui est pointé, à savoir « le produit de cette activité : l’ouvrage, la production, et à partir du XVIIIe siècle, son utilité économique » aurait mérité une entrée à part entière. Le travail n’est pas qu’un processus, plus ou moins contractualisé, plus ou moins organisé, plus ou moins maitrisé par celles et ceux qui le font. C’est ce qu’évoquent des expressions comme « c’est du beau travail », ou au contraire « du travail de cochon ». On pourrait imaginer discuter d’idées reçues du type « Les agriculteurs nourrissent le monde », « Le travail à la chaine permet une production moins chère de meilleure qualité », « De plus en plus d’activités sont des “bullshit jobs” ».
Dernière réserve, sur le fond, mais qui concerne l’ensemble de cette collection « idées reçues ». S’il est bien utile de critiquer des affirmations courantes, mais inexactes, carrément fausses, voire indécentes (« Les chômeurs sont paresseux »), est-ce que l’approche ne fait pas trop confiance à la force de l’argumentation, qu’il s’agisse de convaincre directement ceux qui se retrouvent dans ces idées reçues, ou bien de fournir des arguments à ceux qui voudraient contribuer à les faire reculer ? L’idée reçue relève rarement d’un propos rationnel, circule envers et contre tout, pour des raisons complexes, qui mériteraient d’être explorées, décryptées, prises en considération. La fameuse affirmation « il suffit de traverser la rue » n’est pas le fait d’une erreur d’analyse ou d’un manque de culture en sciences sociales, et il ne suffira pas d’une mise au point du sociologue pour faire dire autre chose à son auteur. Avec certains, il y a du travail !
Critique populaire de l’exploitation – Ce que devient le travail
Nicolas Latteur, Le Bord de l’eau, 2023.
https://www.education-populaire.fr/critique-populaire-de-lexploitation/
Nicolas Latteur, sociologue, a assuré un travail considérable de collecte de paroles de salariés sur leur activité, dans tout secteur professionnel, tout niveau de responsabilité. Il s’appuie sur leurs propos pour brosser un panorama complet et structuré du monde du travail salarié, en Belgique et en France. C’est une mine extraordinaire pour trouver des évocations de situations concrètes sur des thèmes aussi variés que le télétravail, les différentes facettes du management contemporain, la précarité, les services publics sous-tension du fait des logiques gestionnaires.
Cette démarche résonne bien sûr fortement avec la nôtre, à Dire Le Travail. Quelques différences majeures tout de même, pour mieux comprendre ce que nous faisons les uns et les autres :
- Les entretiens sont clairement axés sur ce qu’annonce le titre : les salariés sont d’abord des exploités, et c’est la critique de cette condition sociale que vise le livre. Indiscutablement, il y a de quoi faire dans ce registre, et alors de quoi broyer du noir sur l’état du monde du travail actuel ! À se demander ce qui fait tenir, à la fois les personnes à leur travail, et les institutions gangrenées par ces pratiques de management toxique. Mais comment dénoncer l’exploitation sans réduire ceux qui la subissent à l’état de victime ?
- C’est surtout à propos de leurs conditions de travail que les interlocuteurs du sociologue s’expriment, plutôt que sur leur activité : ils exposent ce qu’ils ont à faire et, le plus souvent, tout ce qui les empêche de le faire, plutôt que ce qu’ils font effectivement. Là aussi, il y a beaucoup à dire, certes, et souvent à dénoncer, des mauvaises conditions qui abiment le travail, mal organisé, mal rémunéré, sous pression. Mais c’est toute l’ambivalence du travail : si on s’en sort, malgré tout, c’est par ce qu’on met de soi, individuellement, collectivement, pour faire avec les contraintes, avec les imprévus. Le travail, tant qu’il se fait, n’est jamais que galère et corvée, il est aussi inextricablement, et pas seulement potentiellement, source d’épanouissement et d’émancipation. Cela aussi mérite d’être dit.
- L’auteur garde la main sur le texte : les témoignages, transcription directe des propos, sont morcelés, enchâssés dans un écrit de sa plume, et finalement réduits au statut d’illustrations à l’appui d’un exposé explicatif.
Logiquement, l’auteur en arrive à un appel à un renouveau de luttes syndicales, susceptibles de peser sur les politiques sociales et patronales. Sans nier l’importance de ces combats, on peut s’interroger sur le recours à une solution extérieure pour agir sur le contenu même du travail. C’est le paradoxe des grèves (arrêter le travail qu’il s’agirait de transformer) et des manifestations (sortir des lieux de travail qu’il s’agirait de s’approprier), et également des discours experts, intellectuels en commentaires des paroles ouvrières.
En regard de cette approche, comment formuler la nôtre ? On pourrait dire : contribuer à ce que celles et ceux qui font le travail parviennent à davantage en maitriser le contenu, ce qui passe par la capacité à parler, individuellement et collectivement, de tout ce qu’on fait déjà et tout ce qu’il y aurait à faire pour vivre mieux, ensemble, dans le monde.
L’imposture du travail
Pouvoir faire du beau travail – Une revendication professionnelle
Jean-Philippe Bouilloud, Érès, 2023.
https://www.editions-eres.com/ouvrage/5055/pouvoir-faire-un-beau-travail
Si je me fie à mon sens esthétique, je dirais : « livre raté ». Je pourrais chercher à rationaliser cette impression : la perplexité à tenter de suivre le fil d’une pensée qui musarde beaucoup, qui papillonne d’une référence à l’autre ; le flou conceptuel autour du « beau travail », qui amalgame la belle ouvrage de l’artiste, le beau geste du manager vertueux, le travail bien fait de l’OS sur la chaine qui visse de son mieux les boulons, voire du détenu du camp qui tient malgré tout à monter son mur droit ; à un autre niveau, la rédaction souvent un peu lourde à mon oreille (par exemple, en ouvrant le livre au hasard, page 101 : « parallèlement à cette montée en puissance d’une approche rationnelle du travail dans un contexte de montée en puissance du capitalisme industriel, les objets de l’artisanat deviennent un nouvel enjeu industriel, qui va permettre une production de masse. » Pour moi, à tout point de vue, vraiment pas une belle phrase !). Mais j’ai envie de prendre au sérieux ce souci de cultiver le sens esthétique comme critère de jugement : il n’est pas indispensable de mobiliser une argumentation savante pour estimer, à la vue d’un champ de panneaux solaires au milieu d’une campagne, des entrepôts d’une zone commerciale, au bruit à l’odeur d’un péage d’autoroute, que quelque chose cloche dans notre monde. Je sors de cette lecture avec un sentiment de frustration, parce que le sujet est d’importance, de déception, parce que le titre et le sommaire sont aguicheurs, d’indigestion, parce que la multitude de références de considérations sociohistoriques qui s’enchainent de page en page mériterait beaucoup plus de soins et d’égard, de l’auteur comme du lecteur. Reste une envie, ajouter cette question au panel des relances dans un entretien de collecte : c’est quoi pour vous, du beau travail ?