Poétique

Aristote, Gallimard, 1996.

Page 88. « La tragédie imite non pas les hommes, mais une action de la vie, le bonheur et la fortune. »

Paragraphe 8 page 92. Le récit centré sur une action, même à propos d’une personne. Le personnage n’est pas tout l’individu, seulement celui qui participe à l’action évoquée.

Page 98. Trois parties constitutives de la fable : péripéties, reconnaissance et évènements pathétiques. Dit autrement : de l’imprévu, du mimétisme, de l’empathie.

Toute sa démarche intellectuelle dans le dernier paragraphe (page 138) : catégorisation (identification des variétés, des parties constitutives) ; évaluation polarisée (« les causes qui font que l’œuvre est réussie ou non, des critiques possibles et des réponses qu’on y doit faire »). En quoi cette posture très surplombante, docte, magistrale, a orienté la production intellectuelle ? Qu’est-ce que ça dit des frustrations plus ou moins conscientes du commentateur du travail des autres ? Pourquoi Aristote n’écrit-il pas lui-même de tragédies, alors qu’il prétend si bien savoir non seulement comment elles fonctionnent, mais aussi pourquoi elles sont (d’après lui, à la limite d’après le public) plus ou moins réussies ?

Depuis toujours nous aimons les dimanches

Lydie Salvayre, Seuil, 2024.

https://www.seuil.com/ouvrage/depuis-toujours-nous-aimons-les-dimanches-lydie-salvayre/9782021554557

Si j’en ai l’occasion, je demanderais volontiers à Lydie Salvayre quand elle a écrit ce livre : le dimanche, ou un autre jour de la semaine ? Je serai aussi curieux de l’entendre sur les efforts qu’il lui a demandés. À la lecture de ce texte pétaradant, j’ai ressenti une joie communicative à raconter les plaisirs langoureux du temps libre, des loisirs, à régler leur compte à tous les tristes sires hérauts du travail contraint, rentable, performant. Les mots coulaient-ils de source sous sa plume, ou bien a-t-il fallu aller les chercher par le col, mille fois remettre l’ouvrage sur le métier ? En tout cas, c’est un formidable travail d’écriture ! De belles pages sur « la paresse comme un art subtil, discret et bienfaisant », de vives critiques sur le travail contemporain à la sauce managériale, de fortes envolées politiques pour montrer tout le bien que la promotion de la paresse ferait à la Terre comme à l’humanité, de roboratifs exposés bien troussés de quelques penseurs qui l’ont précédée dans cette noble cause : Sénèque, Pascal, Charles Fourier, Paul Lafargue bien sûr, et puis Nietzsche ou Guy Debord à la rescousse ! C’est consistant, sérieux, mais aussi pétillant de quelques « blagounettes » proposées malicieusement aux promoteurs du dur labeur.

La lecture est portée par le choix narratif de recourir à un « nous » un peu mystérieux : on se demande bien qui est cette bande de bons copains (un peu à la Jules Romains), qui se pose comme narrateur, explique recourir à la plume de leur amie « Salvayre » pour pimenter leurs textes. On aimerait intégrer l’équipe ! Peut-être un embryon de parti politique ? Par contre, on voit bien qui sont les narrataires, explicitement désignés : les « apologistes-du-travail-des-autres ». Là, je m’interroge quant à la pertinence de développer longuement une argumentation, si pertinente soit-elle, à leur attention. N’est-ce pas quelque peu peine perdue que d’espérer les convaincre de quoi que ce soit ? Ne vaut-il pas mieux prôner une superbe ignorance à leur égard, et alors toutes les formes possibles de dérobade à leurs prêchiprêchas et leurs manigances ?

L’ouvrage échappe aux catégorisations : ce n’est pas un récit, pas un essai, encore moins une thèse, il n’est pas assez sérieux pour être un pamphlet, trop ambitieux pour n’être qu’un petit livre de métro. Il donne de quoi moudre si l’on veut élaborer davantage sur ce qu’on appelle travail, contrainte, loisir, divertissement. L’autrice décrit longuement, avec gourmandise, les mille-et-une façons de vivre (et pas seulement d’occuper) les dimanches, de jouir du temps libre, avec cet horizon : en faire des temps pour penser. Je le prends comme une belle invitation : comment investir les autres jours de la semaine, et alors le travail, avec un tel esprit de liberté, de partage ?

Patrice Bride

Le personnage de roman

Laure Helms, Armand Colin, 2018.

https://www.cairn.info/le-personnage-de-roman–9782200617714.htm

Quête du personnage, et donc structure d’une intrigue, que ce soit en tant qu’adjuvant ou opposant.

Attraper le travail comme une quête, avec un destinataire (le bénéficiaire) et un destinateur (le prescripteur ?)

Page 17. Rôle actanciel (le lâche, le traitre, le séducteur) versus rôle thématique (le chevalier, l’aristocrate, l’ouvrier, le bonimenteur)

Montrer le travail comme une scène sociale

Page 18. Programme narratif (Greimas) : manipulation, compétences, performances, sanction

Montrer les dynamiques de la prescription, de l’appropriation, de l’évaluation

Page 25. Trois ressorts à l’action d’un personnage : ce qu’il veut ; ce qu’il peut ; ce qu’il sait. À chaque fois : plus ou moins, ce qui est source de tensions.

Montrer des marges de manœuvre au travail

Que serait un portrait non pas physique et moral façon Balzac ou Maupassant, mais professionnel ? Montrer, et alors donner à comprendre (au sens fort) une personne dans un emploi.

Page 52. Le personnage « typique » : mécanismes d’identification, de distinction, mais aussi caractéristique d’un métier.

Page 79. Définition d’une « scène » : passage où le temps du récit correspond au temps de l’histoire racontée.

Page 80. Pause narrative, sommaire, ellipse. Jouer de différentes temporalités : le personnage dans l’ensemble de son parcours biographique (roman d’apprentissage), ou bien « en temps de crise » (page 105).

Page 131. Les « blancs » du personnage. Les quelques indications, y compris de détails, qu’on peut lui faire dire pour aider le lecteur à s’en construire une représentation.

Page 132. Une fiction fonctionne lorsqu’on s’inquiète de ce qui va arriver au personnage parmi tous les possibles : ce qui n’est pas écrit d’avance.

Procédé d’écriture : inciter le lecteur à découvrir un lieu (ou bien une activité, etc.) en compagnie du personnage, pour partager ses sentiments (exemple de Joseph dans Le Procès). Le degré d’empathie ?

Vincent Jouve : la lecture d’un roman comme « pédagogie de l’autre »

La force collective de l’individu

Livia Scheller, La Dispute, 2022.

Le titre de couverture de ce livre est à la fois séduisant et ambitieux. le sous-titre qui figure en intérieur en précise le champ : « Histoires de travail et cliniques de l’activité ». L’autrice est psychologue du travail au CNAM, dans l’équipe d’Yves Clot, et tout son propos s’appuie dans cet engagement professionnel. Elle présente trois interventions d’ampleur auxquelles elle a participé, à l’usine Renault de Flins, dans une structure syndicale, ainsi que dans un bureau de poste ; elle appuie sa réflexion sur des auteurs de référence pour ce courant des cliniques du travail, Lev Vygotski et Gilbert Simondon en particulier.

À partir de cette expérience professionnelle, elle tient l’objectif de réfléchir de façon précise aux relations entre un individu au travail et le collectif dans lequel il s’intègre. Un individu n’est pas une entité indépendante qui s’opposerait à autre chose, un collectif. Certes, c’est sur cette conception que repose le contrat de travail salarié : une personne qui choisit de s’engager contractuellement auprès d’un collectif institué, employeur. Quand on écoute et observe les individus au travail, individuellement et collectivement, on mesure des interactions bien plus complexes : l’individu qui se construit au travers de son activité avec autrui, le collectif qui se transforme lorsque les individus qui le composent ont la latitude d’agir sur lui. Une dynamique qui nous concerne au plus haut point, agissant dans une coopérative.

Si ce livre peut nous intéresser, c’est aussi par son souci de relier les considérations théoriques avec des « histoires de travail », récits d’intervention. Comment les uns peuvent-ils éclairer, outiller les autres ? L’autrice expose les tenants et les aboutissants des trois interventions, reproduit en particulier des extraits assez longs d’entretiens avec les professionnels. On peut regretter que le souci d’expliquer prenne trop vite le pas sur la narration des évènements, ne laissant pas au lecteur la place d’apprécier la complexité des situations, de se faire une opinion, d’explorer par lui-même le champ des possibles. Il est toujours un peu dommage de réduire les situations évoquées à des faits venant à l’appui d’une thèse.

Autre regret : alors que l’autrice a le souci de raconter dans l’introduction son parcours professionnel, sa découverte du travail de l’équipe du CNAM, elle disparait ensuite pour l’essentiel du livre, peut-être trop soucieuse d’un propos recherchant l’argumentation générale, la démonstration théorique. Il aurait intéressant qu’elle s’expose davantage dans son propre travail : ce que ça fait à un psychologue de se mêler du travail des autres, de s’alimenter du travail des autres pour élaborer des concepts, en produire des livres ?

Une dernière question, en ouverture. Les interventions évoquées fouillent avant tout les modalités d’effectuation du travail : comment bien faire ce qu’on a à faire ? « C’est en reprenant la main sur les manières de réaliser son activité de travail que peut naitre ou renaitre le sentiment de pouvoir faire son travail comme il faut, de remettre de la vie dans l’activité commandée, de mobiliser de façon active l’affectivité nécessaire pour investir son métier. » (Page 173) elle précise ensuite : « Toutes les activités sont concernées : activités de conception, d’organisation, de gestion, d’exécution. » Mais ne faut-il pas également interroger le contenu même de l’activité ? Peut-on se réaliser pleinement en tant qu’être humain actif, avec la même intensité, à ajuster des portières sur une chaine de montage, à distribuer du courrier, organiser le travail d’équipe sur une ligne, à piloter une usine, à participer à une enquête sur les conditions de travail ? Reprendre la main sur son activité, ne serait-ce pas aussi sur son contenu ?

La force collective de l’individu

https://www.larevuecadres.fr/articles/clinique-de-l-activite-et-transformations-du-rapport-au-travail/6927

Les méthodes qualitatives

Alex Mucchielli, PUF Que-sais-je, 1991

Introspection : comment amener les personnes à développer les implicites, plus ou moins conscients ? « Vous voyez ? » Non, je ne vois pas, montrez-moi !

Page 25. Exemple Garfunkel : explorer le monde (faussement ?) partagé entre deux interlocuteurs, identifier toutes les connivences plus ou moins conscientes.

Page 26. Description phénoménologique : au plus près du ressenti, sans reconstruction conceptuelle réflexive.

Entretien non directif actif : avec une reformulation du fond.

Établir une grille d’observation : tout ce qu’il y a à découvrir d’une situation de travail ; comment le connaitre. cf. carte de visite de Guy Jobert ? Comment ne pas être trop en surplomb, être dans la coopération dès cette étape ? Racontez-nous comment vous documentez sur un nouveau terrain au début d’une intervention ?

Sophie Alami, Dominique Desjeux, Isabelle Garabuau-Moussaoui, PUF Que-sais-je, 2009.

Trois champs d’investigation :

Instance matérielle : place des objets, des espaces, du temps, de l’économie ; observation, description.

Instance des relations sociales : rapports de pouvoir et leurs mécanismes de régulation, relations d’autonomie et de contrôle ; rapport aux normes et aux transgressions ; observation et description.

Instance imaginaire : symbolique, représentations qui donnent sens aux pratiques quotidiennes. Techniques verbales productives ou associatives

Questions de style

Dane Cuypers, CFPJ, 2006.

Propos adressé à des apprentis journalistes, pour les aider (les encourager) a travaillé leur style propre, à tenir tête aux poncifs et aux normes, à capter par la subtilité des mots et de leurs agencements la complexité des situations et actions. Mais ces destinataires sont dans le cas assez particulier d’être à la fois narrateur et auteur : la façon d’écrire leur appartient. Nous nous substituons, en tant que rédacteurs, à la parole d’un autre. C’est terriblement difficile, jamais anodin !

https://shop.abilways.com/livres/question-style/

https://www.persee.fr/doc/memor_1626-1429_2007_num_21_1_2295_t23_0137_0000_3